Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/549

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leur nom par leurs importants services : on n’a point vu cela du temps des Tsin. Chi hoang prince de Tsin devenu empereur, et par là maître des revenus ordinaires de tout l’empire, au lieu de se borner là, mit aussitôt de nouveaux impôts, chargea les peuples de corvées, et les rendit si misérables, que son extrême rigueur ne pouvant faire craindre pis, les montagnes étaient pleines de brigands en troupes, et les chemins remplis de criminels qu’on traînait aux prisons, ou bien aux supplices. Enfin il aliéna tellement tous les esprits, que chacun au moindre bruit levait les yeux et prêtait l’oreille. On n’attendait qu’un signal, pour secouer un joug si pesant. Qui que ce fût qui le donnât, on était prêt à le suivre.

Tchin chin le donna ce signal ; vous le savez, grand prince, et vous n’en ignorez pas les suites. Au reste, si Chi hoang épuisa les peuples par ses impôts, il s’épuisa lui-même par ses dépenses. Dans une marche qu’il fit depuis Kien yeng jusqu’à Yong, il changea de palais jusqu’à trois cent fois, et il les trouva tous garnis sans qu’on portât rien de l’un à l’autre, pas même ses cloches et ses tambours[1]. Plusieurs des palais qu’il habitait, étaient si superbement élevés, qu’ils semblaient plutôt des montagnes que des maisons. Les bâtiments étaient hauts de quelques dizaines de gin[2]. Ils avaient du nord au sud mille pas, et de l’est à l’ouest une demie lieue. Le nombre et la richesse des équipages, répondait à la magnificence des palais. A quoi aboutit enfin tant de faste ? Ses descendants se trouvèrent n’avoir pas la moindre maison de paille.

Chi hoang fit faire pour ses courriers de grands chemins : il leur donna en largeur cinquante pas : il éleva des deux côtés des murailles de terre. Il y planta quantité de pins, et d’autres arbres toujours verts. On ne pouvait rien voir de plus beau. A quoi tout cela aboutit-il ? Ses descendants à la seconde génération ne purent trouver un petit sentier, par où fuir en sûreté.

Chi hoang choisit le mont Li pour sa sépulture. Quelques cent mille hommes y furent occupés pendant dix ans. On y creusa une vaste fosse d’une profondeur extrême[3]. On rassembla au dedans pierres et métal de toute espèce. Pour les ornements du dehors, on employa le plus beau vernis, les couleurs les plus vives, les perles mêmes les plus précieuses, et autres bijoux. Dans un étage plus haut régnaient de vastes galeries : et au derrière de tout cela, s’élevait une montagne faite à plaisir, plantée d’agréables bois. Voilà bien de la dépense pour la sépulture d’un seul homme ; je dis d’un seul homme, car ses descendants, pour leur propre sépulture, furent obligés de mendier quelques pieds de terre, et n’eurent pas même pour la couvrir, un petit toit de roseaux.

  1. Tang king tchouan sur cet endroit, dit : Kia chan a de l’énergie ; mais son style n’est pas réglé. Cela tient du voisinage des temps de troubles.
  2. Un gin, c’est 80 pieds.
  3. Les Chinois disent : qui pénétrait jusqu’aux trois sources ; exagération qui fait allusion à quelque fable approchante de celle de poètes anciens sur les Enfers. Ailleurs on met les neuf sources.