Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/552

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vertu de ses princes, qui étaient de leur côté dans une honnête abondance. Chi hoang seul maître de ces mille huit cents États, en épuise tous les revenus, accable tous les peuples et n’ayant pas encore assez pour contenter son ambition et pour fournir à son faste, il redouble ses exactions et ses cruautés. Il n’y a pas une famille, pas même un homme dans l’empire, qui ne le regarde intérieurement comme son plus cruel ennemi, et qui ne le charge en secret de mille malédictions.

Enfin Chi hoang, dans un danger prochain de tout perdre, est le seul qui ne se voit point content ; et plein de soi-même, il rencontre dans un voyage de belles pierres, il fait graver dessus ses exploits, et il se met, sans hésiter, au-dessus de Yao et de Chun. La postérité de nos plus heureux princes n’a pu se maintenir sur le trône au-delà de vingt ou trente générations : Chi hoang s’en promet dix mille. Il se rit de l’ancienne coutume, d’attendre après la mort à donner des titres de distinction. Il détermina le sien lui-même, et celui de ses descendants par avance. Il se nomme Chi hoang ti, parce qu’il est le premier empereur de sa maison. Il ordonne que son successeur soit désigné par Eul chi hoang ti, pour marquer la seconde génération[1], et ainsi de suite jusqu’à dix mille, ou plutôt jusqu’à l’infini. Chi hoang cependant mourut bientôt. Des quatre coins de l’empire on se souleva contre Eul chi son fils, qui ne valait pas mieux que lui. Eul chi perdit en même temps l’empire et la vie, et là finit la dynastie Tsin.

Mais d’où vient encore une fois, que Chi hoang ti ne s’aperçut point du triste et dangereux état ou il avait réduit les choses ? C’est que personne n’osait parler ; c’est qu’aveuglé par son orgueil, il punissait avec rigueur les moindres murmures ; c’est qu’il faisait mourir ceux qui lui donnaient quelque avis sincère ; c’est qu’il ne donnait à ses ministres ni autorité ni crédit. Il éprouva pour son malheur ce que dit notre Chi king : Un prince écoute-t-il ? on lui parle ; haït-il les avis ? il n’en reçoit point : mais rien pour lui n’est plus à craindre qu’un tel silence. Ven vang qui l’avait bien compris, en usait tout autrement. Aussi le même Chi king dit à sa louange : paraissez gens de mérite, et produisez-vous sans crainte : vous êtes en sûreté sous un tel prince : son plaisir est de vous voir en bon nombre.

En effet, pour tirer des gens de mérite tout l’avantage qu’on en doit attendre, il faut les aimer et les honorer. Ainsi en usaient anciennement les plus sages princes à l’égard de leurs ministres. Non seulement ils les rendaient puissants et riches par de gros appointements ; mais ils les distinguaient encore davantage par des marques singulières de considération et de bienveillance. Un ministre était-il malade ? Le prince allait lui-même le visiter, et ne comptait pas combien de fois. Le ministre mourrait-il ? Le prince prenait le petit deuil, allait en personne faire le tiao[2], le voyait vêtir selon la coutume, et mettre dans le cercueil. Jusqu’à ce que cela fût

  1. Chi signifie commencer, commencement. Eul signifie Roi deuxième.
  2. Nom d’une cérémonie funèbre.