Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/553

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fini, le prince s’abstenait de vin et de viande. Pour la musique, il se l’interdisait jusqu’après les funérailles ; et cela si sévèrement, que même dans les cérémonies solennelles à l’égard de ses propres ancêtres, il n’en usait point, si elles venaient à concourir avec la mort de son ministre.

Si nos anciens princes distinguaient si fort leur ministre mort, ils avaient aussi pour lui, pendant qu’il vivait, de grands égards. Se voyaient-ils ? C’était toujours selon les rits, en habit de cérémonie, avec décence et gravité. Le ministre de son côté s’efforçait en toute manière de remplir parfaitement ses devoirs, et craignait beaucoup moins la mort, que de répondre mal aux bienfaits du prince : c’est alors que tout prospérait et plusieurs générations postérieures se sont encore ressenti de cet heureux règne. Aujourd’hui Votre Majesté assise sur le trône de ses ancêtres, se rappelant leurs exploits et leurs vertus, paraît tout de bon vouloir les imiter, et par un règne encore plus heureux que le leur, donner un nouveau lustre à votre maison, un nouvel éclat à l’empire que vous tenez d’eux. C’est sans doute dans cette vue que vous recherchez et honorez les gens de mérite et de vertu. Tout l’empire vous en applaudit, et l’on entend dire partout, que l’ancien gouvernement va revivre. Il n’y a point d’homme de lettres dans tout l’empire, qui n’aspire à se rendre capable d’y contribuer. Dès à présent vous en avez à votre cour un bon nombre, dont vous pouvez tirer de grands secours pour une si belle entreprise.

Mais pour moi, je ne vous le dissimule point, voyant ceux que vous avez le plus distingués entrer dans tous vos plaisirs, où vous ne vous livrez que trop[1], je crains que de tant de gens d’un si grand mérite, vous retiriez bien peu d’avantage. Vous-même, ne vous relâcherez-vous point ? Je l’appréhende. Pour peu que vous le fassiez, les Tchu heou[2] suivront votre

  1. Tching te sieou dit : tout ce discours de Kia chan tend à corriger Ven ti de ce qu’il chassait trop, et de ce qu’il menait à la chasse ses ministres et ses conseillers d’État. Il semble d’abord que pour cela il n’était ni nécessaire, ni convenable, de rappeler l’histoire des Tsin ; mais dans le fond cela n’est pas mal ; car quoique Ven ti fût bon prince, il commençait à se négliger ; au lieu de tenir de fréquents conseils avec ses ministres, il faisait sans cesse avec eux des parties de chasse. Une passion en attire une autre. Imiter le mal, c’est chose facile. Ven ti pouvait en venir à se perdre comme Tsin : c’est ce que Kia chan appréhende, et ce qu’il veut prévenir. En cela il n’est que louable. Mais à mon sens il finit mal. Car une de nos plus essentielles maximes est de perfectionner toujours la vertu, et surtout de fermer au vice toute avenue. Or Kia chan en finissant, ouvre lui-même à son prince un chemin au relâchement. En ce point il se dément, et ne suit pas la doctrine des Iu (lettrés).
    Ainsi parlait Tching te sieou : ce docteur a raison de parler ainsi ; car le vrai Iu, qu’il a plu à quelques Européens d’appeler la secte des lettrés, n’est réellement que la doctrine commune à tout l’empire. C’est ce que contiennent les livres constamment reconnus pour King. Or, suivant ces livres, tout le monde, et surtout le prince doit aspirer à la plus parfaite vertu, veiller sans cesse sur ses actions et sur ses pensées, pour ne pas donner d’entrée au vice. Moyennant cela, et avec le secours de Tien, le prince et les sujets sont heureux, disent ces livres.
  2. Princes tributaires.