et qui oserait les en soupçonner ? Mais outre les autres motifs, ils avaient celui d’exposer moins le corps des morts aux insultes des vivants.
Le roi de Ouen en usa tout autrement. Il fit à son père, sans cependant observer bien les rits, une sépulture également riche et superbe. Dix ans après il la vit détruite et pillée par les gens de Yué. La même chose est arrivée à cinq rois de Tsin, dans la sépulture desquels on avait mis avec leurs corps, bien des richesses. On les a vu enlever ces richesses, et les restes de ces cadavres demeurer dans un état si pitoyable, qu’on n’y peut penser sans horreur. Enfin Chi hoang de roi de Tsin devenu empereur, choisit pour sa sépulture le mont Li. En bas il fit creuser, pour ainsi dire, jusqu’au[1] centre de la terre. En haut il fit élever un mausolée, qui pouvait passer pour une montagne[2]. Il était haut de cinq cents pieds, et avait de circuit au moins une demie-lieue. Au-dedans était un vaste tombeau de pierre, ou l’on se pouvait promener aussi à l’aise que dans les plus grandes salles. Au milieu était un riche cercueil. Tout autour étaient des lampes et des flambeaux entretenus de graisse humaine. Dans la capacité de ce tombeau était d’un côté un étang de vif argent, sur lequel étaient répandus des oiseaux d’or et d’argent ; de l’autre un appareil complet de meubles et d’armes ; çà et là mille bijoux les plus précieux. Enfin il n’est pas possible d’exprimer jusqu’où allait la magnificence et la richesse, soit du cercueil et du tombeau, soit des bâtiments où il était placé. Non seulement on y avait dépensé des sommes immenses, mais il en avait encore coûté la vie à bien des hommes. Outre les gens du palais qu’on y avait fait mourir, on comptait par ouan[3] les ouvriers qu’on y avait enterrés tout vivants. On vit tout à coup les peuples, qui ne pouvant plus supporter le joug, coururent aux armes au premier signal de révolte. Et ces ouvrages du Mont Li n’étaient pas encore achevés, que Tcheou tchang vint camper au pied ; et bientôt après Hang si rasa ces vastes enceintes, brûla ces beaux édifices, pénétra dans ce superbe tombeau, en enleva toutes les richesses, et fit de cette sépulture un lieu d’horreur : du moins le cercueil y était encore. Un berger, dit-on, cherchant au milieu de ces masures une brebis égarée, y laissa tomber du feu. Ce feu prit, gagna le cercueil et le consuma. Jamais prince assurément n’a poussé plus loin que Chi hoang la magnificence, surtout en matière de sépulture. Voilà quelles en ont été les suites. Peut-on rien entendre de plus funeste ?
Reprenons. Il est constant par l’examen de l’histoire, qu’où il y a eu plus de vertu, il y a eu moins de faste, même en ce qui regarde les sépultures ; que ceux, qui de l’aveu de tout le monde, ont été les plus éclairés