par la manière d’en punir une seule quelquefois assez légère, à ruiner le grand chemin de la justice, à multiplier les mécontents et les malheureux. Ce n’est pas par cette voie qu’on bannit les dissensions, et qu’on fait régner dans un État l’union, la paix, et le bon ordre.
Voici ce que dit un fameux auteur, en faisant parler un prince. « Le commun des peuples a en horreur les sales débauches et les brigandages. Je punis ces crimes sans rémission ; tout le monde en est ravi ; et ma sévérité à les punir ne me fait pas regarder comme un prince cruel. C’est que je traite ces criminels conformément à l’idée et à l’horreur que le public a de leurs fautes. C’est avec le public que je les juge. Les peuples ont aussi horreur de la nudité et de la faim ; mais c’est une horreur bien différente : chacun la craignant pour soi, en a compassion dans les autres. Quand donc je trouve quelqu’un que l’indigence a fait tomber en quelque faute, je suis facile à lui pardonner, et je n’ai point vu que pour cela on m’ait accusé de partialité ou de faiblesse. C’est que ma conduite à l’égard de ces derniers s’accorde aussi avec la disposition des peuples. Le public en même temps que moi leur pardonne. Enfin ceux que je traite avec rigueur, sont dans l’idée générale de mes sujets un objet d’abomination. Ceux que je traite avec indulgence, sont aussi dans l’idée commune un objet de compassion. Le soin que j’ai de suivre ainsi l’idée générale et commune, me gagne le cœur de mes sujets, et fait que sans beaucoup de récompenses, je les porte assez aisément au bien, et sans punir que rarement, je les éloigne efficacement du mal. »
La conclusion de ceci, c’est qu’en matière de punitions, un prince qui suit l’idée générale et le sentiment commun, ne risque rien, et que quand en le suivant il punirait un peu trop légèrement certaines fautes, les inconvénients n’en seraient pas grands. Au contraire, lorsque le prince suit ses idées particulières, s’il est un peu trop indulgent, on dit qu’il est faible, et qu’il ouvre la porte au crime ; s’il est sévère, il passe pour cruel, et se rend odieux.
C’est à quoi nos anciens princes étaient attentifs dans les châtiments quand ils en usaient ; mais ils comptaient peu là-dessus ; et leur grand soin était de travailler par l’instruction et par le bon exemple, à maintenir dans la vertu le commun de leurs sujets, et à ramener à leur devoir ceux qui venaient à s’en écarter. Hélas ! qu’on tient aujourd’hui une conduite bien différente de la leur, surtout dans les jugements criminels ! A peine un officier est-il accusé et mis en prison, que votre parti est pris sur son affaire, et antécédemment à tout examen. On le fait ensuite cet examen pour la forme. Si celui qui en est chargé fait cadrer, bon gré malgré, les informations avec vos intentions, qu’il ne connaît que trop, dès lors c’est un habile homme ; ou sans rien déterminer sur la nature de la faute, et sans éclaircir l’affaire suivant les lois, si les juges recourent à Votre Majesté et lui demandent en secret ses ordres ; dès lors ce sont dans votre esprit des gens zélés et fidèles. En user de la sorte, ce n’est pas le moyen d’attirer les gens capables, et de les attacher à votre service.