Vos peuples instruits et persuadés de l’équité de vos arrêts, les recevaient sans murmure. Vos officiers témoins de votre fermeté dans un parti pris, ne craignaient point de retour fâcheux, et vous secondaient avec zèle : chacun avait son rang et ses talents. Depuis quelques années ce n’est plus la même chose. Vous devenez peu à peu et de plus en plus difficile, et même un peu dur. Vous imitez quelquefois ces pêcheurs, dont les filets n’arrêtent le poisson que par trois côtés, et lui laissent[1] une issue par le quatrième. Mais d’autrefois, et bien plus souvent, vous imitez ceux qui cherchent avec avidité[2] le peu de poisson qu’il y a dans les ruisseaux les plus petits et les moins profonds. S’agit-il de faire un choix, et surtout de juger d’une faute ? Votre inclination et votre humeur sont les règles que vous suivez. Aimez-vous quelqu’un ? Sa faute a beau être griève, bon gré mal gré, vous l’excusez. Quelqu’un a t-il le malheur de ne vous pas plaire ? Quelque légère que soit sa faute, vous trouvez moyen de la grossir, en pénétrant jusque dans ses intentions. Si quelqu’un vous fait sur cela des remontrances, vous le soupçonnez de collusion.
Que s’ensuit-il de cette conduite ? Que les lois sont inutiles ; qu’en vain on les implore, et que les magistrats n’osent les soutenir. Vous leur fermez la bouche ; mais ne croyez pas que dans le cœur ils acquiescent à vos arrêts, et que ces arrêts soient exécutés sans de grands murmures. Il y a une loi qui porte que quand le coupable est un officier au-dessus du quatrième ordre, on aura soin que tous les grands officiers fassent leur rapport sur son crime. Cette loi a été faite en faveur du rang de celui qui est accusé. La vue qu’on a eue en la faisant, a été de parer aux calomnies et à l’oppression, et de ne laisser rien ignorer de ce qui pourrait être favorable à l’accusé. Aujourd’hui tout au contraire, on abuse de cette loi pour armer contre l’accusé tous ceux qui ont droit de faire leur rapport. Instruits de vos intentions, ils recherchent et font valoir jusqu’aux plus menues circonstances qui peuvent aggraver la faute, et semblent appréhender d’après Votre Majesté que l’accusé ne se trouve pas assez coupable. Lors même que le cas est de telle nature, qu’on ne peut trouver en aucune loi de quoi le juger grief, on l’examine indépendamment des lois, et l’on trouve enfin moyen de le grossir des deux tiers. On vous connaît sur cela ; et voilà pourquoi depuis quelques années tous ceux qu’on accuse, appréhendent infiniment que leur affaire aille jusqu’à vous, et s’estiment fort heureux, lorsqu’elle se termine au Fa se[3].
Au reste, ce que vous faites sur le trône et à votre cour, vos officiers le font à votre exemple, chacun dans leur tribunal. Par là les accusations se multiplient, les procédures se prolongent : et tandis qu’on néglige, ou qu’on oublie le capital du gouvernement, on perd le temps à examiner des fautes légères, et souvent des minuties. À quoi aboutit enfin cette prétendue exactitude ? À occasionner plusieurs fautes souvent très grièves