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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/690

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font-ils sans égard prompte justice aux coupables ? C’est que ne trouvant en ces indignes sujets qu’ingratitude, qu’artifice, qu’infidélité, ils voient dans Votre Majesté un prince plein de bonté, de sincérité, de droiture. Tant il est vrai qu’il importe infiniment de ne jamais s’écarter de ces vertus. Attachez-vous y donc, je vous en conjure, attachez-vous y inviolablement. Pratiquez-les avec constance : fallût-il pour cela de grands efforts, ils seront bien employés ; et je ne puis croire que vous ayez jamais sujet de les regretter.

L’ancienne tradition dit : quel est l’homme qui ne fasse point de fautes ? Le point est de savoir s’en corriger. Tchoang ouei dans nos anciens livres, louant la vertu de Tching tang, croit faire de lui un grand éloge, en disant qu’il n’épargnait rien pour se corriger. Ki fou voulant exalter le glorieux règne de Suen vang, dit que ce qui manquait à ce prince, était abondamment suppléé par Tchong chan fou son premier ministre. Tching tang certainement était un prince d’une sagesse peu commune, et d’une éminente vertu. Tchong ouei, homme lui-même très vertueux et très éclairé, était ministre de ce prince, et devait le bien connaître. Il ne va cependant point jusqu’à dire qu’il ne faisait point de fautes : il se contente de louer son attention à les corriger. Suen vang fut aussi un très grand prince. La dynastie Tcheou tombait : il eut l’honneur de la relever par son sage gouvernement. Ki fou était un homme intelligent, et bon connaisseur en ce genre. Cependant en louant son maître, il ne dit point qu’il ne lui manqua rien pour bien gouverner : il appuie sur le soin qu’il eut de suppléer à ce qui lui manquait par le secours d’un bon ministre.

D’où l’on peut, ce me semble, conclure, que suivant l’idée de nos anciens, rien n’est plus à estimer et à louer surtout dans un prince, qu’une attention constante à se corriger de ses défauts, et à réparer ses fautes. Ils avaient certes raison d’en juger ainsi ; car il n’est point d’hommes depuis les plus ignorants et les plus stupides, jusqu’à ceux qui sont les plus éclairés, à qui il n’arrive quelquefois de se tromper et de faire des fautes. La différence des uns aux autres est principalement en ce que ceux-ci reconnaissant volontiers les fautes, en profitent, et s’en corrigent : au lieu que ceux-là par une mauvaise honte, cherchent à les couvrir, et à les excuser, ne pensent point à les réparer, et en commettent encore de plus grandes.

Dans une antiquité moins reculée, les choses tombant en décadence, la flatterie prévalut dans les officiers, l’orgueil dans les princes. Abandonnant comme de concert cette confiance sincère qui fleurissait autrefois, et qui les unissait si étroitement, ils substituèrent en sa place un respect de cérémonie. Il ne fut plus permis d’aborder le prince, ou de le quitter, sans avoir recours à de basses flatteries ; mais aussi ce ne fut plus que grimaces. Les gens de bien, comme plus droits et plus simples, ne purent s’accommoder de ce changement, et ils en souffrirent. Les méchants plus souples par intérêt, en profitèrent ; leurs souplesses et leurs flatteries achevèrent d’enivrer les souverains ; leur cupidité et leur ambition fît en même temps