Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce que je viens de vous dire. Lou tché quelques jours après présenta sur ce sujet la remontrance suivante.


Prince, j’ai toujours ouï dire, qu’entre les hommes point de secours sans confiance[1], point de confiance sans sincérité[2]. Aussi tous nos anciens sages ont-ils fait un cas particulier de ces deux vertus. Une tradition ancienne va jusqu’à dire, que par là doivent commencer et finir toutes les affaires ; que sans cela toutes les affaires doivent cesser. Si cela est vrai des moindres affaires entre le commun des hommes, combien plus doit-il avoir lieu dans ce qui s’appelle affaires d’État ? Quoi donc, le souverain dont le plus ferme appui, est la sincérité et la droiture de ses sujets, et surtout de ceux qu’il emploie, se peut-il dispenser de pratiquer ces vertus ? Non sans doute, et V. M. me permettra de lui dire qu’elle s’est méprise, en jugeant que ces vertus lui ont fait tort. On dit, et il y a en cela quelque chose de vrai, que les peuples ont peu de lumières : mais on peut aussi dire avec vérité, qu’ils sont sur certaines choses très éclairés. S’agit-il d’eux-mêmes et de leurs devoirs ? Souvent ils se trompent, ou ils doutent. Mais quand il s’agit du prince, alors rien ne leur échappe. Ils distinguent parfaitement ses belles qualités et ses défauts. Ils percent toutes ses inclinations bonnes ou mauvaises. Ils pénètrent dans ce qu’il a de plus secret, et le publient. Ils étudient toutes ses actions et les imitent.

Ce qui est vrai des peuples en général, l’est bien plus en particulier du commun des gens que le prince emploie, Voient-ils le prince user de finesse à leur égard ? Ils emploient de leur côté l’artifice. Sentent-ils que le prince a de la défiance ? Ils s’observent, ils se ménagent. Occupés du soin de se maintenir, ils s’inquiètent peu du reste, et ils n’ont d’attachement à leur devoir, et de zèle pour le prince, qu’à proportion qu’ils en sont traités avec honneur et avec bonté. Enfin comme l’ombre suit le corps qui la forme, et le ton la voix qui le donne, ainsi le commun de ceux que le prince emploie, se conforme à sa conduite. Si un prince peu sincère et peu droit lui-même, exige de ses officiers de la sincérité et de la droiture, il pourra les tromper la première fois ; mais ils ne s’y fieront pas une seconde. Non, ce n’est qu’en poussant lui-même au plus haut degré la sincérité et la droiture, que le prince peut s’assurer de trouver ces vertus dans ceux qui le servent. Actuellement sous votre règne, un officier de guerre oublie-t-il ce qu’il vous doit et à l’État ? Vous envoyez contre lui d’autres qui le combattent et l’exterminent. Quelqu’un de vos ministres et autres officiers manque-t-il en des choses graves ? Vous lui faites faire son procès. Dans ces conjonctures quoique souvent délicates, pourquoi ceux que vous chargez de vos ordres, s’en acquittent-ils exactement ? Pourquoi

  1. Sin signifie croire, se fier, confiance, bonne soi, fidélité. La suite détermine ce sens.
  2. Tching signifie sincère, droit, solide, parfait, sincérité, droiture. La suite détermine aussi ce sens.