Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/697

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dans une extrémité toute opposée ? C’est, dit-on, par ordre de V. M. que tous les bonzes s’assemblent solennellement, pour conduire en procession dans l’intérieur de votre palais un os de Foë que vous y voulez placer avec honneur dans une salle exhaussée. Malgré mon peu de lumières, je sais que V. M. quoiqu’elle ordonne cet appareil de vénération, ces processions, et ces prières, n’est dans le fond nullement attachée à la secte de Foë. Je vois bien que ce qu’elle en fait, ce n’est que pour rendre plus solennelle la joie qu’a causé dans tous les cœurs l’abondance de cette année. Vous accommodant à cette disposition, vous avez voulu donner quelque spectacle et quelque divertissement nouveau, et c’est pourquoi vous avez permis cet appareil de cérémonies extraordinaires.

Car enfin y a-t-il de l’apparence qu’un prince aussi éclairé que vous l’êtes, y ait réellement aucune foi ? Non, et j’en suis bien persuadé. Mais le peuple aveugle et grossier est aussi facile à séduire, qu’il est difficile à redresser. Lorsqu’il voit que Votre Majesté rend extérieurement ces honneurs à Foë, il se persuade qu’en effet vous l’honorez véritablement ; il ne manquera pas de dire : Notre grand et sage empereur, se donnant tant de mouvement pour honorer Foë, nous, petit peuple, qui sommes-nous pour épargner nos corps et nos vies ? il n’en faudra pas davantage pour qu’on les voie par dizaines et par centaines se brûler la tête et les doigts. Ce sera à qui dissipera le plus tôt ce qu’il aura, pour se revêtir d’un habit de bonze. Du moins depuis le matin jusqu’au soir le chemin des bonzeries sera continuellement rempli de pèlerins. On verra jeunes et vieux y courir en foule, et par la crainte de l’avenir s’y dépouiller de tout ce qu’ils ont. Ils iront encore plus loin, et si l’on n’y met ordre par de rigoureuses défenses affichées dans toutes les bonzeries, il se trouvera des gens assez simples pour se taillader les bras, et d’autres parties du corps en l’honneur de Foë.

Ces abus, vous le voyez, nuiraient fort aux bonnes mœurs, renverseraient la police, et nous rendraient ridicules à tout l’univers. Qu’était Foë de lui-même ? C’était un barbare étranger, dont la langue et les habits différaient des nôtres. Jamais il n’a su parler, ni entendre cette langue, que nous ont transmise nos anciens princes : jamais il n’a porté d’habits faits suivant les règles de ces grands hommes. Il a ignoré ou négligé les plus essentiels devoirs du prince au sujet, et du fils au père.

Enfin supposons que ce Foë vive encore, et que son prince l’ait député, pour venir de sa part à votre cour vous rendre hommage, comment V. M. le recevrait-elle ? Tout au plus, après une courte audience, où elle le traiterait en hôte suivant les rits ; elle lui ferait présent d’un habit complet, lui donnerait une escorte qui veillerait sur sa conduite, et qui le reconduirait jusqu’à nos frontières, sans lui laisser la liberté de travailler à séduire vos peuples. Voilà comme vous traiteriez ce Foë vivant et envoyé par son prince. Pourquoi tant d’années après sa mort le révérer si extraordinairement ? Quelle bienséance y a-t-il, que les tristes et sales restes de son cadavre, un os pourri, entre en pompe en votre palais, et pénètre même jusque dans l’intérieur, dont la clôture est si sévère ? Confucius disait :