Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/710

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les grandes richesses d’un si vaste empire, ç’a été une pure grâce de leur part. Grâce singulière, s’il en fut jamais ; grâce à laquelle il n’est pas aisé de répondre dignement ; grâce enfin que vous ne sauriez assez reconnaître. Cependant non seulement vous négligez de vous acquitter des cérémonies ordinaires à l’égard du feu empereur ; mais à l’égard de l’impératrice mère qui vit encore, on ne vous voit ni le respect que vous devez à sa personne, ni l’attention convenable à ses besoins. Quoi donc ! Est-ce trop que les devoirs les plus communs pour des personnes à qui vous êtes si redevable ? Où est la reconnaissance et la piété ? Certainement tout l’empire attendait autre chose de V. M. Pendant que vous étiez dans les remèdes, on était un peu moins surpris de cette conduite, on l’excusait à demi. Mais depuis que votre santé est bien rétablie, qu’on vous voit soutenir sans incommodité le poids des affaires, remplir toutes les autres fonctions de prince, et négliger comme auparavant les devoirs de fils, il n’est aucun de vos officiers à la cour, et dans les provinces, qui ne conclue que votre négligence passée, venait bien moins de la faiblesse de votre santé, que de votre peu de piété. Pour moi je vous l’avoue, je ne comprends point les motifs qui vous font en agir de la sorte. Est-ce que vous avez cru voir dans le feu empereur pendant sa vie, des dispositions peu favorables à votre égard ? est-ce qu’on vous a fait sur cela de fâcheux rapports ? C’est une chose constante qu’il dépendait du feu empereur, de se donner pour successeur un autre que vous. Il vous a choisi pour l’être, et vous l’êtes en effet. Quels rapports et quels soupçons, eussent-ils quelque fondement, peuvent tenir contre un bienfait si grand, si réel, et si notoire ?

Quant à l’impératrice mère, si pendant quelque temps, elle a pris connaissance des affaires, ce n’a été que sur les instances de vos ministres et autres grands officiers, pendant que vous étiez hors d’état de vous en mêler ; et ce n’est point qu’elle ait jamais prétendu partager avec vous l’autorité souveraine. Enfin, il y a du temps qu’elle vous a remis le gouvernement. Vous régnez et gouvernez seul. Le reste est passé, il faut l’oublier, et il ne convient point d’en conserver un si long ressentiment. Pour ces petits sujets de chagrin, fussent-ils réels, oublier un bienfait du premier ordre, c’est imiter Yeou vang, à qui une faute en ce genre moins griève que la vôtre, est vivement reprochée, dans le Chi king. J’ai une vraie peine lorsque je vois qu’au lieu d’imiter le grand Chun, prince recommandable par tant d’endroits, et principalement par sa piété envers ses parents, vous imitiez Yeou vang prince si décrié dans l’histoire.

On dit que l’impératrice mère n’est pas la seule qui se sente de vos chagrins. Votre ressentiment s’étend, dit-on, jusque sur les jeunes princesses filles du feu empereur, que vous devez par conséquent regarder comme vos sœurs. Vous leur avez ôté leur appartement, pour y placer vos propres filles. Reléguées dans un coin du palais, elles n’y reçoivent de votre part aucune marque de bonté ; vous n’en prenez aucun soin ; elles vous sont comme étrangères. Souffrez que je vous ouvre mon cœur, et que je