Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/749

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peupler, est épuisé dans les lacs et les rivières. De plus, les barbares insultent la Chine.

Quelle est la cause de ces malheurs ? Il n’y en a point d’autre, sinon que vos officiers à la cour et dans les provinces, vous servent mal, et ne suivent point pour règle de leur conduite, la vertu et la raison. Hélas ! rien de plus aisé et de plus ordinaire, que d’ouvrir le chemin aux grandes calamités. Mais rien de plus difficile et de plus rare que de les apercevoir de loin. Ce sont comme des orages, que des causes peu sensibles forment et grossissent peu à peu, mais qui fondent tout à coup avec une rapidité que rien ne peut retenir, et avec une violence à laquelle rien ne résiste. Quand le sang coule à ruisseaux dans les campagnes, les moins éclairés de tous les hommes savent dire alors, tout est perdu, ô le grand malheur ! ô l’affreux désastre ! La sagesse consiste donc, non à déplorer ces malheurs quand ils arrivent, mais à les prévenir dans leurs causes, à les prévoir efficacement, et à tourner en bien le mal même, dès qu’il menace ou qu’il commence.

Les maux que je vous expose, ne sont point encore sans remède. Je prie seulement Votre Majesté de ne point perdre de temps, d’ouvrir incessamment ses greniers et ses trésors, pour le soulagement des misérables, et surtout d’annuler ces règlements onéreux, récentes inventions de vos ministres, que la sagesse et la vertu n’ont point suggérées. C’est par là que répondant aux intentions de Tien, vous pouvez espérer de faire cesser le dérèglement des saisons, d’attirer d’abondantes et d’heureuses pluies, de rendre la vie à vos peuples expirants, et d’assurer pour bien des générations, le bonheur et la gloire de votre maison.

Il est important, dit-on communément, que le prince, et ceux qui gouvernent sous lui, se connaissent mutuellement jusqu’au fond du cœur. O que cela n’est-il maintenant ! Tout peu éclairé que je suis, je vois dans le cœur de Votre Majesté une tendresse paternelle pour ses peuples. Depuis qu’elle est sur le trône, elle en a donné des marques éclatantes. De divers partis proposés elle a embrassé bien des fois le plus favorable au peuple. Elle n’a rien de plus à cœur que la vie et la satisfaction de ses sujets. Elle voudrait qu’ils vécussent tous plus longtemps, et plus contents, s’il était possible, qu’on ne faisait sous Yao et Chun. Telle serait votre ambition, non de voir regorger vos coffres, et d’y amasser plus qu’il n’y a dans tout le reste de l’empire. Vous êtes sans doute bien éloigné de vous piquer d’une chose si peu digne d’un homme sage, et d’un bon prince.

Mais vos officiers, tant à la cour, que dans les provinces, ou n’ont point pénétré les sentiments intimes de votre cœur, ou n’y veulent point entrer. Ce n’est qu’exactions, que châtiments, que cruautés. Ces pauvres peuples qui sont les peuples de Tien et les vôtres, sont réduits aux dernières extrémités. Vos officiers qui en sont la cause, voient leur misère d’un air tranquille, sans en être touchés, et sans y apporter le moindre remède. Vous étant tel que je vous connais, eux étant tels que je viens de vous les dépeindre ; que peut-on espérer de bon de si peu de correspondance ?