Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/818

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette pierre, répondit Hien kong, est d’un très grand prix ; c’est le plus beau, et le plus précieux bijou que j’aie. Si j’étais bien assuré d’obtenir à ce prix ce que je prétends, à la bonne heure. Mais si le prince de Yu, après avoir reçu mon présent, se moquait de moi, et me refusait. Ne craignez rien, prince, reprit Siun si : Ou l’on vous accordera passage, ou votre présent ne s’acceptera pas ; Yu n’oserait en user autrement : s’il vous accorde passage, il le recevra ; mais en ce cas là votre présent sera bien payé. D’ailleurs envoyer à Yu votre beau bijou, ce n’est, à proprement parler, que le tirer de votre cabinet, et le placer pour quelque temps dans une galerie extérieure.

Du moins, dit encore Hien kong, la démarche sera inutile. Le prince de Yu a auprès de soi Kong tchi ki ; il verra où nous visons, et persuadera au prince de refuser mon présent. Kong tchi voit clair, il est vrai, dit Siun si ; mais outre qu’il est homme comme un autre, et peut se laisser tenter du moins une fois, il est naturellement moins ferme, que complaisant et beaucoup plus jeune que son prince. Sa complaisance peut faire qu’il ne dise rien en cette occasion, ou que peu de chose : du moins y a-t-il lieu d’espérer qu’il n’aura pas la fermeté de faire une opposition bien forte. Enfin quand il la ferait, le prince plus âgé que lui, et tenté par votre présent, pourrait bien le recevoir contre l’avis de son ministre ; Ce n’est pas qu’il faille être fort éclairé pour pénétrer dans nos vues : mais je connais le prince de Yu ; ses lumières sont bornées.

Hien kong suivant l’avis de Siun si envoie l’ambassadeur et le présent. Le Prince de Yu fort content d’une telle ambassade, et encore plus charmé du présent, ayant pris intérieurement son parti, ne laissa pas de consulter Kong tchi du moins pour la forme. Prince, lui dit Kong tchi ki, rien de plus obligeant, je l’avoue, que ce que vous a dit l’ambassadeur de Tsin : son présent d’ailleurs est très riche ; mais tout cela dans le fond est dangereux pour votre État. Le proverbe dit fort bien : quand les lèvres[1] sont rongées, les dents infailliblement souffrent du froid. Yu et Hou sont deux petits États, qui, en se soutenant bien l’un l’autre, sont difficiles à entamer ; mais le moyen qu’ils subsistent, s’ils s’abandonnent et se trahissent. Hou périra le premier : mais Yu aura dans peu le même sort.

Le prince laissa dire son ministre, reçut le présent de Tsin, et accorda le passage. Hou fut d’abord envahi, et quatre ans après on tomba sur Yu : Siun si alla en personne à cette expédition contre Yu ; il se saisit du trésor du prince : il y reprit le précieux bijou ; puis s’en revenant à toute bride, et le présentant à Hien kong : Prince, lui dit-il, reconnaissez-vous ce bijou ? Me suis-je trompé dans mes vues ? Non certainement, répondit Hien kong. Voilà mon bijou revenu, et mon cheval est bien engraissé. L’avis de Siun si fut suivi, et valut à son prince deux royaumes. L’avis de Kong

  1. Le Chinois dit : les dents des mâchoires sont bien allongées. En France, avoir les dents longues, c'est en certain langage avoir jeûné ; sens tout opposé au Chinois, qui signifie : j'ai beaucoup acquis.