Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/850

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette fausse route. Tel fut Lieou ki, ajoute Fan : par sa cession il se fit un nom dans son temps ; mais ce fut aux dépens de son État et de son frère, qui ne put gouverner sans troubles. Ting hong au contraire, dit le même Fan, en voulant renoncer à son État, ne cherchait point précisément à se faire un nom. Il croyait faire une belle action, et procurer en même temps l’avantage de son frère et de son État. On lui fit voir que son abdication était contraire à l’un et à l’autre. Aussitôt il recula, et reprit le grand chemin. Ting hong sans contredit l’emporte : on ne peut sans injustice lui comparer Lieou ki. C’est ainsi que décide Fan : et à mon sens, il décide bien ; mais il pouvait mieux faire sentir l’équité de sa décision ; on trouvera bon que je le fasse.

Nos anciens rois, en établissant la coutume, et se faisant comme une loi de faire succéder leur fils aîné, n’agissaient pas à la légère, ou par pure inclination : leur vue était de faire en sorte, que la tige de leur race fût toujours bien distinguée, et de prévenir par là les troubles. Chaque empereur, chaque prince tributaire reconnaît un premier prince de sa race, dont il tient sa couronne. Un empereur n’oserait donner à son gré à celui-ci ou à celui-là l’empire qu’il tient de ses ancêtres. Cette maxime est reçue. Sans doute que Lieou ki et Ting hong ne s’étaient pas faits princes eux-mêmes : ils étaient dans ce haut rang, et tenaient de leurs ancêtres les États qu’ils voulaient quitter. Or donner un État qu’on tient de ses pères, à celui qui ne doit pas le posséder, c’est une faute. Tay pé et Pe y le firent, il est vrai ; mais ce fut dans des circonstances assez singulières : ce n’est point un exemple à suivre ; et Lieou ki fit mal par plus d’un endroit. Il fit trop peu de cas d’un État qu’il avait reçu de ses ancêtres. Il fut cause que son frère fit souffrir, et souffrit beaucoup. Enfin il donna atteinte aux lois reçues et très sagement établies pour le repos des États.

A en juger donc sainement et selon les rits, la faute de Lieou ki fut grande. Ce qui pourrait la faire paraître un peu moindre, c’est que sous la dynastie Han où il vivait, bien des gens prenaient cette voie pour se faire un nom. Cette manie commença sous les Han occidentaux. Ouei kiuen tchin en donna l’exemple. Ayant été fait heou, il céda cet honneur à un de ses frères. L’empereur qui régnait alors, regarda cette action comme un trait d’une éminente vertu : et à l’exemple du prince, tout l’empire l’en estima, et en fit l’éloge. Cette idée peu à peu s’établit si bien, qu’un homme, fût-il d’ailleurs sage et vertueux, était assez peu estimé, s’il ne faisait quelque coup semblable. Mais si cette idée, alors commune, peut diminuer la faute de Lieou ki, nous en devons d’autant plus estimer Ting hong, qui sans se laisser entraîner au torrent, sut se maintenir dans le droit chemin. Pour moi, je n’y pense jamais, que je ne l’admire.

Il y avait dans le royaume de Tsou un homme d’un grand mérite, nommé Chin min. Dans la vue de s’acquitter des devoirs d’un bon fils, il demeura particulier, et très assidu auprès de son père. Cela même le fit encore plus estimer. On le loua tellement au prince, qu’il le voulut faire un de ses ministres. Chin min voulant s’en excuser, son père lui en demanda la