Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/853

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qu’il pouvait avoir de mauvais penchants ; et il commença à travailler à corriger un défaut qu’il reconnut en lui ; savoir, d’être trop grand parleur. Nous nous rencontrâmes en ce temps-là dans une bonzerie, qu’on avait nommée la bonzerie du silence.

Tchong yong prit de là occasion de me demander quelque instruction sur la manière de se taire à propos. J’ai moi-même, lui répondis-je, le défaut de trop parler. Ainsi je suis assez peu propre à donner des leçons de silence aux autres. Je n’ai pas laissé de remarquer que ce défaut vient ordinairement ou de vanité, ou de dissipation, et de légèreté. J’appelle ici vanité certain empressement de briller au-dehors ; j’entends par dissipation et légèreté, une trop grande facilité à laisser échapper son cœur au-delà du juste milieu, qui se doit garder en toute chose. Voilà ce que j’ai remarqué par ma propre expérience. Du reste les anciens nous ont laissé de belles maximes sur cette matière, qu’on trouve répandues dans nos livres.

Voici les principales en abrégé.

Ils commencent par réprouver quatre sortes de silence, ou de taciturnité. Se taire quand on a des doutes de conséquence, et ne pas consulter pour les éclaircir ; ou bien, ce qui est encore pis, demeurer plutôt volontairement dans une ignorance grossière, que de parler pour s’instruire, c’est bêtise et stupidité. Se taire par une lâche complaisance, et précisément pour gagner l’affection des Grands, c’est intérêt et flatterie. Se taire pour cacher ses défauts, sous les apparences de réserve, c’est orgueil. Enfin cacher sous un silence modeste, et sous un air simple, un cœur plein de venin et de malice, pour exécuter plus sûrement un mauvais dessein, c’est hypocrisie. Tout cela n’est point silence, ou c’est un silence criminel : mais il y a un silence louable, qui peut venir de divers bons motifs, et qui a aussi divers bons effets.

Le sage, dit Confucius, parle toujours avec pudeur, et avec un air modeste, comme s’il reconnaissait du défaut dans ses actions et dans ses paroles. Dès l’antiquité la plus reculée, un homme peu réservé dans ses paroles, a toujours passé pour peu réglé dans le reste, et pour incapable de grands emplois. Ainsi la pudeur, la modestie, la réserve, sont comme les premières leçons de ce qu’on appelle silence ou l’art de se taire. Le sage, dit encore Confucius, aime à se taire ; du moins il n’aime pas à parler beaucoup, parce qu’il est occupé du soin de bien faire, et l’amour qu’il a pour le silence, naît comme naturellement de son application constante à veiller sur ses actions.

Si donc les gens vertueux, communément parlent peu ; ce n’est pas qu’ils fassent consister la vertu dans le petit nombre de paroles, ni qu’ils se taisent précisément pour se taire ; ils ont une fin plus relevée : ils regardent le silence comme un excellent moyen de conserver la vertu, et de l’acquérir. Méditer assidûment, dit Confucius, quelque importante vérité, c’est le moyen de devenir éclairé ; le moindre fruit qu’on en retire, c’est d’éviter les grosses fautes, où tombe à chaque pas le commun des hommes. Pour réussir en quelque entreprise que ce soit, y penser longtemps