Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est alors qu’on voit les laboureurs désolés, suer toute la journée sous un ciel brûlant, pour écarter ces insectes, avec des drapeaux qu’ils promènent sur la cime de leurs moissons. Cette funeste plaie est assez ordinaire dans la province de Chan tong, au temps d’une grande sécheresse : quelquefois elle ne se répand qu’à une lieue au loin, et les moissons sont très belles dans le reste de la province.


Estime où est l'agriculture.

Ce qui soutient dans leurs travaux, ceux qui cultivent la terre avec tant de soins et de fatigues, ce n’est pas seulement leur propre intérêt, c’est encore plus la vénération où est l’agriculture, et l’estime que les empereurs en ont toujours fait depuis la naissance de l’empire. C’est une opinion commune qu’elle leur a été enseignée par un de leurs premiers empereurs nommé Chin nong, et ils le révèrent encore aujourd’hui comme l’inventeur d’un art si utile aux peuples.

L’agriculture fut encore plus accréditée par un autre de leurs premiers empereurs, qui fut tiré de la charrue, pour monter sur le trône : l’histoire en est rapportée dans les livres de leurs anciens philosophes.

L’empereur Yao, à ce qu’ils racontent, qui commença à régner 2.357 ans avant Jésus-Christ, et dont le règne fut si long, après avoir institué les divers tribunaux des magistrats, qui subsistent encore aujourd’hui, pensa à se décharger sur un autre du poids du gouvernement : il en conféra avec ses principaux ministres ; ils répondirent qu’il ne pouvait mieux faire, que de remettre le soin de ses États à l’aîné de ses enfants, qui était un prince sage, d’un beau naturel, et d’une grande espérance. Yao connaissant mieux que ses ministres le génie de son fils, qui était dissimulé et artificieux, regarda ce conseil comme l’effet d’une vaine complaisance : c’est pourquoi, sans rien conclure, il rompit l’assemblée, et remit l’affaire à un autre jour.

Quelque temps après, ayant déjà régné 70 ans, il fit appeler l’un de ses plus fidèles ministres, et lui dit : « Vous avez de la probité, de la sagesse, et de l’expérience ; je crois que vous remplirez bien ma place, et je vous la destine. » « Grand empereur, » répondit le ministre, « je suis tout à fait indigne de l’honneur que vous me faites, et je n’ai pas les qualités que demande un emploi si éclatant, et si difficile à remplir ; mais puisque vous cherchez quelqu’un qui mérite de vous succéder, et qui puisse conserver la paix, la justice, et le bon ordre que vous avez mis dans vos États, je vous dirai sincèrement que je n’en connais point de plus capable, qu’un jeune laboureur qui n’est pas encore marié : il n’est pas moins l’amour que l’admiration de tous ceux qui le connaissent, par sa probité, par sa sagesse, et par l’égalité de son esprit, dans une fortune si basse, et au milieu d’une famille où il a infiniment à souffrir de la mauvaise humeur d’un père chagrin, et des emportements d’une mère qui ne garde point de mesure. Il a des frères fiers, violents, et querelleurs, avec qui personne n’a pu vivre jusqu’à présent. Lui seul a su trouver la paix, ou plutôt a su la mettre dans une maison composée d’esprits si bizarres et si déraisonnables. Je juge, seigneur, qu’un homme qui se conduit avec tant de sagesse dans une fortune privée, et qui joint à cette