Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/122

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découvrit ; il fut emprisonné et condamné à plusieurs bastonnades, sous lesquelles il expira.

C’en était fait de la religion, si ce faux bruit de conjuration eût pénétré jusqu’à la cour ; mais on ne fut pas longtemps à revenir d’une erreur si grossière, et les magistrats eurent honte de leur crédulité. Heureusement un mandarin, ami du P. Ricci, arriva pour lors à Canton : ayant examiné à fonds cette affaire, il punit sévèrement le juge, qui avait fait mourir le père Martinez, et prononça une sentence très honorable au P. Cataneo, qui lui rendit la liberté de continuer ses fonctions.

On peut juger quels soins et quelles peines donnait au P. Ricci la sollicitude de tant d’églises et de tant de chrétientés, qui se formaient dans l’empire, car il était comme l’âme de tout ce qui s’entreprenait pour la gloire de Dieu, et l’avancement de la religion.

C’était à lui que les missionnaires avaient sans cesse recours, soit pour lui exposer leurs peines, soit pour le consulter dans leurs doutes : il apprenait la langue aux nouveaux venus, et les formait aux vertus apostoliques : quantité de livres sur la religion et sur les sciences sortaient de ses mains : il recevait des lettres de la plupart des Grands et des mandarins des provinces, auxquels il était obligé de répondre, pour les rendre favorables au christianisme : comme il passait pour l’homme le plus célèbre, qui eût paru à la Chine depuis Confucius, il était accablé des visites qu’il recevait des Grands de Peking et des mandarins des provinces, que leurs affaires attiraient dans cette capitale ; et il ne pouvait s’exempter de leur rendre ces mêmes devoirs de civilité, que le génie de la nation rend indispensables.

Tant de travaux ne pouvaient manquer de ruiner sa santé, et d’avancer l’heure de sa mort : aussi y succomba-t-il dans un âge assez peu avancé, et nonobstant la force de sa complexion, qui semblait promettre une longue vie. Il n’était âgé que d’environ 58 ans quand il mourut. Il avait passé 27 ans à la Chine ; car il y était entré en l’année 1583 sous le règne de l’empereur Van lié, et Dieu récompensa ses travaux apostoliques par une mort précieuse en l’année 1610.

La tendre dévotion avec laquelle il reçut le S. Viatique et l’extrême onction, se traînant jusqu’au milieu de la chambre, et s’y prosternant avec le plus profond respect, fit verser des larmes à tous les assistants, et la nouvelle de sa mort consterna tous les chrétiens répandus dans ce vaste empire. Tous les Grands et même les gentils s’empressèrent de lui rendre les derniers devoirs dans une salle de la maison, où son corps était exposé : mais on n’avait pas encore de sépulture, et on était embarrassé comment l’inhumer : il fallait une permission de l’empereur ; et comme il s’agissait d’un étranger, on eût à essuyer bien des formalités. Mais enfin on accorda à la réputation du Père Ricci, ce qu’on aurait peut-être refusé en toute autre conjoncture. L’empereur donna même un bâtiment avec un vaste jardin hors de la ville, qu’un eunuque disgracié avait fait construire au temps de sa faveur : ce lieu a servi depuis de sépulture aux