Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/57

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Ailleurs ils le comparent à la racine de l’arbre, et à l’essieu d’un chariot : ils l’appellent le pivot, sur lequel tout roule ; la base, la colonne, et le fondement de toutes choses. Ce n’est pas, disent-ils, un être chimérique, qui soit semblable aux vides de la secte des bonzes : c’est un être réel, qui existe véritablement, c’est ce qu’on conçoit qui existe avant toutes choses, et qui n’est pas distingué des choses avant lesquelles il existe ; qui est une même chose avec le parfait et l’imparfait, le ciel, la terre, et les cinq éléments ; en sorte que chaque chose peut être appelée à sa manière Tai ki.

Ils disent encore, qu’on doit le concevoir comme quelque chose d’immobile, et qui est en repos : lorsqu’il se meut, il produit l’Yang qui est une matière parfaite, subtile, agissante, et dans un continuel mouvement : lorsqu’il se repose, il produit l’Yn, qui est une matière grossière, imparfaite, et sans mouvement. C’est à peu près comme un homme qui se tient en repos lorsqu’il médite profondément sur quelque matière ; et qui passe du repos au mouvement, lorsqu’il explique ce qu’il a médité. C’est du mélange de ces deux matières que naissent les cinq éléments, qui, par leur union et leur tempérament, font la nature particulière, et la différence de tous les corps. De là viennent les vicissitudes continuelles des parties de l’univers, le mouvement des astres, le repos de la terre, la fécondité ou la stérilité des campagnes. Ils ajoutent que cette matière, ou plutôt cette vertu répandue dans la matière, produit, arrange, et conserve toutes les parties de l’univers ; qu’elle en fait tous les changements ; et qu’elle est néanmoins aveugle dans ses opérations les plus régulières.

Cependant rien n’est plus surprenant que de lire les perfections que ces commentateurs modernes attribuent à leur Tai ki : ils lui donnent une étendue et une grandeur sans bornes : c’est, disent-ils, un principe très parfait, qui n’a ni commencement ni fin : c’est l’idée, le modèle, et la source de toutes choses : c’est l’essence de tous les êtres. Enfin dans d’autres endroits, ils le regardent comme quelque chose de vivant et d’animé : ils lui donnent le nom d’âme et d’esprit ; ils s’en expliquent même d’une manière à faire croire qu’ils le regarderaient comme la première intelligence qui a produit toutes choses, s’ils s’accordaient avec eux-mêmes ; et si, à force de vouloir concilier le sens des anciens livres avec leur système, ils ne tombaient pas dans les plus manifestes contradictions. Aussi est-ce la lecture de quelques endroits de leurs ouvrages, qui a porté des Chinois à élever des temples en l’honneur de Tai ki.

Ce qu’ils appellent Tai ki, ils lui donnent aussi le nom de Li : c’est, disent-ils encore, ce qui joint à la matière, compose tous les corps naturels ; ce qui donne à chaque chose tel être en particulier qu’elle a, et qui la rend différente de tous les autres êtres ; et voici comme ils raisonnent : Vous faites d’un morceau de bois un siège, ou une table ; le Li, c’est ce qui donne au bois la forme de siège ou de table ; rompez ce siège en plusieurs morceaux, brisez cette table : le Li de l’un et de l’autre ne subsiste plus.