Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/60

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commune des savants : ils convinrent pourtant que si l’empereur prononçait sur la véritable signification du Tien et du Chang ti, en déclarant qu’il entend par ces mots, le seigneur du Ciel, et non pas le ciel matériel, leurs doutes se dissiperaient, et qu’ils ne feraient pas l’injustice aux savants de ce grand empire, de les regarder tous comme de vrais athées.

Il faut absolument que l’empereur parle, disait l’un d’eux[1] ; il faut que l’empereur s’explique. Ils savaient que le feu empereur Cang hi était très versé dans l’intelligence des livres chinois, que c’est à lui, comme empereur, d’examiner les docteurs ; qu’il est le chef de la religion et de la doctrine des lettrés ; que c’est lui qui juge souverainement du véritable sens des lois, des cérémonies, et des coutumes, en qualité de pontife, de législateur, et de maître de l’empire.

On prit donc le parti en l’année 1700 de consulter ce prince avec les ménagements convenables, pour ne lui pas laisser entrevoir à quel dessein on demandait cette explication. Il déclara par un édit, qui fut conservé dans les archives, inséré dans les gazettes publiques, et répandu dans tout l’empire, que ce n’est pas au ciel visible et matériel qu’on offre des sacrifices, mais seulement au seigneur et à l’auteur du ciel, de la terre, et de toutes choses ; et que c’est par cette raison que la tablette, devant laquelle on offre ces sacrifices porte cette inscription : Au Chang ti, c’est-à-dire, au souverain seigneur ; que c’est par respect, qu’on n’ose pas l'appeler par son propre nom ; et qu’on a coutume de l’invoquer sous le nom de Ciel suprême, de Ciel bienfaisant, de Ciel universel ; de la même manière que quand on parle avec respect de l’empereur, on ne l’appelle pas par son nom, mais on dit les degrés de son trône, la cour suprême de son palais[2] ; que ces noms, quoique différents, si l’on regarde les termes, sont cependant les mêmes, si l’on regarde leur signification. Dans une autre occasion, parlant en public, il assura que les habiles Chinois disaient comme lui, que le principe de toutes choses est appelé Tien, Ciel, en style noble et figuré ; de même que l’empereur est appelé Tchao ting du nom de son palais, qui est le lieu où brille davantage la majesté impériale.

On consulta de même des princes, des Grands de l’empire, des premiers mandarins, et des principaux lettrés, et entr’autres le premier président de l’académie impériale, laquelle est composée des docteurs les plus célèbres, qui sont proprement les gens de lettres de l’empereur. Tous parurent surpris qu’il y eût des savants en Europe qui pussent croire que les lettrés de la Chine honorassent un être inanimé et sans vie, tel que le ciel visible et matériel : et tous déclarèrent qu’en invoquant le Tien ou le Chang ti, ils invoquaient le suprême seigneur du ciel, l’auteur et le principe de toutes choses, le dispensateur de tous les biens, qui voit tout, qui connaît tout, et dont la sagesse et la providence gouverne cet univers. Quoi, s’écriaient quelques-uns d’eux, nous jugeons que chaque famille doit avoir un chef, chaque ville un gouverneur, chaque province un viceroi,

  1. M. Maigrot
  2. On donne souvent au gouvernement le nom de la ville qu'il gouverne, Fou, Tcheou, Hien.