Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/68

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Chinois de tout état ne pensent guère qu’à la vie présente. Les mandarins, qui sont les dieux vivants du pays, n’ont la plupart d’autre divinité que leur fortune : et comme elle est sujette à de fâcheux revers, leurs soins ne vont qu’à chercher les moyens de parer ces malheurs, et de se maintenir dans leur poste. Les étudiants, qui sont comme la petite noblesse, n’ont guère en tête qu’un certain honneur, qui consiste à réussir dans les examens, et à monter à un degré plus haut. Les marchands ne songent depuis le matin jusqu’au soir, qu’à leur négoce. Le reste du peuple ne pense qu’à trouver de quoi vivre, c’est-à-dire, un peu de riz, et quelques légumes. Voilà tout ce qui occupe les Chinois ; leurs pensées ne vont guère plus loin.

Les lettrés, dont je parle, ne laissent pas, comme les autres lettrés, de déclamer contre ce qu’ils appellent Y tou an, c’est-à-dire, contre les fausses sectes : mais l’expérience fait voir qu’ils ne sont pas moins esclaves de Fo, que le petit peuple. Leurs femmes, qui d’ordinaire sont fort attachées aux idoles, ont coutume d’avoir dans le lieu le plus honorable de leurs maisons, une manière d’autel, où elles placent une troupe d’idoles bien dorées. C’est là que par complaisance ou autrement, ces prétendus disciples de Confucius fléchissent souvent le genou : quand quelqu’un d’eux aurait assez de confiance pour résister au torrent, du moins aura-t-il bien de la peine à se défendre des moyens imaginaires, dont on se sert pour connaître l’avenir. Si quelqu’un de la maison vient à mourir, il est rare qu’il manque à appeler les bonzes, à brûler des papiers dorés, et à faire tout ce qui est en usage ; sans cela, loin de passer pour un philosophe, on le regarderait comme un méchant homme.

L’ignorance extrême de la nation chinoise contribue beaucoup à la facilité, avec laquelle ces prétendus docteurs donnent, ainsi que le peuple, dans les plus ridicules superstitions. Cette ignorance ne regarde point les finesses et l’habileté du négoce ; ils en savent sur cela plus que les Européens. Elle ne regarde point non plus les lois du gouvernement ; il n’y a point d’empire au monde qui en ait de plus belles, ni de peuples plus disposés à se laisser gouverner. Elle ne regarde pas même une espèce de philosophie morale, qui consiste en de sages maximes ; leurs livres en sont pleins, il ne s’agirait que de les mettre en pratique. Mais ces habiles docteurs, à un peu de morale près, ignorent ordinairement les autres parties de la philosophie : ils ne savent ce que c’est que de raisonner avec quelque justesse sur les effets de la nature, qu’ils se mettent peu en peine de savoir ; sur leur âme, sur un premier être, qui n’occupe guère leur attention ; sur l’état d’une autre vie, sur la nécessité d’une religion. Il n’y a pourtant point de nation qui donne plus de temps à l’étude : mais leur jeunesse se passe à apprendre à lire, et le reste de leur vie, ou à remplir les devoirs de leurs charges, ou à composer avec élégance des discours académiques.

C’est cette ignorance grossière de la nature qui fait qu’un grand nombre attribuent presque toujours ses effets les plus communs à quelque mauvais génie, mais cela se trouve pour l’ordinaire parmi le menu peuple, et surtout