Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/70

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grimoire. C’est ce qui se pratique lorsqu’on entreprend quelque affaire, ou quelque voyage ; lorsqu’il s’agit de vendre ou d’acheter ; quand on songe à marier ses enfants ; et en cent autres occasions, pour avoir un jour heureux, et ensuite un succès favorable.

La troisième invention est la plus ridicule de toutes : c’est cependant celle dont les Chinois sont le plus entêtés : ils l’appellent fong choui, c’est à-dire, le vent et l’eau ; et ils entendent par là l’heureuse ou la funeste situation d’une maison, et surtout d’une sépulture. Si donc par hasard votre voisin bâtit une maison, et qu’elle ne soit pas tournée comme la vôtre, mais que l’angle qui fait la couverture, prenne la vôtre en flanc, c’en est assez pour croire que tout est perdu : c’est une haine qui ne peut presque s’éteindre qu’en abattant cette nouvelle maison ; c’est un procès à soutenir devant le mandarin. Enfin, quand il n’y a point d’autre remède, la seule ressource qui vous reste, c’est de faire élever une espèce de monstre ou de dragon de terre cuite sur le milieu de votre toit : le dragon de brique jette un regard terrible sur l’angle funeste qui vous menace, et ouvre une gueule affreuse, comme pour engloutir ce méchant fong choui, c’est-à-dire, ce mauvais air[1]. Alors vous êtes un peu plus en sûreté.

C’est le parti que prit le gouverneur de Kien tchang, pour se défendre de l’église des jésuites, qui est bâtie sur une hauteur, d’où elle domine son palais, qui se trouve au pied. Il eut de plus la sage précaution de faire tourner les appartements de son palais tant soit peu de côté, et d’élever à deux cents pas de l’église, une manière de corps de logis, ou de grande porte à quatre faces, et haute de trois étages, pour rompre les influences du tien tchu tang, c’est-à-dire, de l’église du Seigneur du Ciel. Par malheur cette seconde porte devint une prétendue cause de la mort du second gouverneur. Ce mandarin avait une grosse fluxion sur la poitrine, et crachait des phlegmes fort blancs : on ne douta point que ce ne fût cette maison à trois étages, dont les murailles étaient fort blanches, qui causait ce mauvais effet : on les barbouilla promptement de noir, afin qu’elle produisît un effet contraire : cet expédient ne réussit point, on s’imagina qu’il avait été pris trop tard, le mandarin mourut ; et dans la suite quelqu’autre idée semblable les fit reblanchir comme auparavant.

On pourrait rapporter beaucoup d’autres pareilles rêveries sur ce qui regarde la situation des maisons, l’endroit où il faut ouvrir la porte, le jour et la manière dont on doit bâtir le fourneau où se cuit le riz. Mais où le fong choui triomphe, c’est en ce qui concerne les sépultures. Il y a des charlatans, dont le métier est de connaître les montagnes et les collines d’un augure heureux : et quand après bien des forfanteries, ils se sont fixés à quelque endroit, il n’y a point de somme d’argent qu’on ne sacrifie volontiers pour posséder ce bienheureux terrain.

Les Chinois regardent le fong choui comme quelque chose de plus précieux en quelque façon, que la vie même, persuadés que le bonheur ou

  1. Par ce mot ils n'entendent pas seulement un air corrompu qui cause de maladies, mais encore une espèce de malédiction qui s'étent jusqu'à la postérité.