Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/78

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minuit, et il vient à nous : dès qu’il s’élève, tout ce qui dans l’univers est du ressort de yang, fermente et reprend de la force. Depuis midi il commence à décliner : alors tout ce qui est de la nature de yang, s’affaiblit, et au contraire ce qui appartient à yn, acquiert une nouvelle vigueur[1].

Mais, dit un des assistants, si le Ciel est un corps fluide et léger, en quel endroit placerez-vous la divinité Yo hoang ta ti ? Si la Terre n’est qu’un assemblage de parties crasses et pesantes, où sera la demeure de Yen vang[2] ? Où logeront les esprits, qui sont les exécuteurs de sa justice ? Enfin où placerez-vous l’enfer ?

N’en doutez pas, répondit le philosophe ; le Ciel est une substance très déliée et très légère, qui s’agite et circule sans cesse. Jugez si elle est capable de contenir quelque chose de pesant : elle ne peut rien soutenir qui ne soit de sa même nature. Comment donc y loger vos divinités, telles que vous les représentez ? Durant le jour, un ciel éclairé roule sur nos têtes : le ciel ténébreux s’avance peu à peu, et vient nous apporter la nuit ; le jour reparaît ensuite, et ce mouvement est continuel et réglé. Supposons que Yo hoang, et son cortège de dieux inférieurs aient leur palais dans le ciel : ces dieux rouleront donc sans cesse avec le ciel, et feront une infinité de virevoltes. Cela est-il bien imaginé ?

Venons à la Terre : il est clair que c’est une masse énorme, un composé d’eau, de boue, d’argile, de pierres, que leur propre poids a accumulés et liés ensemble. Si vous y logez Yen vang et sa suite, la cour de ce Dieu des enfers sera donc dans cet amas d’eau et de boue ? Ne voyez-vous pas que ce sont là de pures imaginations ?

Laissons là nos divinités, reprit un autre de l’assemblée ; vous êtes trop prévenu contre elles. Que sont devenus ces grands hommes, ces hommes extraordinaires, dont vous nous avez parlé en termes si pompeux, et que vous avez mis de pair avec le Ciel et la Terre ; car c’est là votre merveilleux ternaire ? Or le Ciel et la Terre sont réels, et subsistent : ces héros de l’antiquité doivent donc pareillement subsister ? Est-ce que selon vos principes, un Fo hi, un Hoang ti, un Yao, un Confucius, auraient cessé d’être, dès qu’ils ont cessé de paraître ici bas ?

  1. A la vue de ces deux figures tracées par le philosophe chinois, on demandera peut-être si l’on croit encore à la Chine que la Terre est carrée. Il paraît que le philosophe suit ici l’ancienne opinion qui favorisait le nom de tchang koué, ou de royaume du milieu, que les Chinois donnaient à leur empire, s’imaginant que la Terre était carrée, qu’ils en occupaient la plus grande partie, et que tout le reste n’était que des morceaux de terre rangés autour, pour lui servir d’ornement. Il n’en est pas de même d’un globe, où le milieu se trouve sur la surface partout où l’on veut. Mais depuis que les Européens sont à Peking, ceux des Chinois qui les fréquentent, ou qui ont quelque teinture des mathématiques, sont bien revenus d’une erreur si grossière, et cette erreur n’était en Chine, que parmi ceux qui n’avaient nulle connaissance des mathématiques, comme nous voyons qu’en Europe il y a eu longtemps de l’erreur sur la rondeur de la terre, sur les antipodes. Les mathématiciens chinois ont supposé la terre, pour sa figure, semblable à un œuf de poule. Le mot de fang, qui signifie carré, doit être interprété par solide, fiable.
  2. C’est le Pluton des Chinois idolâtres qui honorent Fo.