Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


— Sachez, répondit le philosophe, qu’avant que les sages naissent au milieu de nous, le li, et le ki, les deux parties qui les composent, préexistaient déjà dans le ciel et dans la terre. Au moment qu’un grand homme se forme, ce li et ce ki s’unifient, et c’est de cette union qu’il résulte. Lorsqu’il meurt, ses dons, ses belles qualités, ses perfections, sa doctrine, deviennent l’admiration et la règle des siècles futurs : elles subsistent donc, et leur durée égale celle du Ciel et de la Terre. A la vérité le corps d’un sage se détruit ; mais son li, ce qui le fait proprement ce qu’il est, cette noble partie de lui-même, va se réunir au Ciel et à la Terre, comme elle l’était auparavant. Et comme il est vrai de dire que le Ciel et la Terre durent toujours, de même est-on en droit de soutenir que les vrais sages subsistent à jamais[1].

Le même qui venait d’interroger le philosophe, lui répartit : Vous reconnaissez que Confucius est un vrai sage : or la tradition nous apprend qu’il alla consulter l’illustre Lao kiun[2]. Il paraît par cette démarche que Confucius craignait la mort, et qu’il voulait apprendre le secret de devenir immortel.

Ne me parlez point de votre Lao tsé, répliqua le philosophe : il ne passe dans mon esprit que pour un homme du commun, mais qui a eu la bizarre prétention de se rendre immortel. La belle doctrine qu’il a laissée, et qui n’enseigne que le néant, l’indolence, et une molle nonchalance ! Je ne veux citer qu’un endroit des instructions qu’il donne à ses disciples. Considérez ma langue, leur disait-il, ne subsiste-t-elle pas tant qu’elle demeure molle et flexible ? Au contraire ce qui détruit nos dents, n’est-ce pas leur propre dureté ? Que penser de ce beau raisonnement ? La nature dans les productions de l’univers a rendu mol ce qui devait être mol, et dur ce qui devait être dur. Supposons que ces dents qui garnissent la bouche, deviennent molles et flexibles comme la langue ; pourrait-on alors prendre une nourriture tant soit peu solide, comme sont les grains de riz cuits à l’eau, notre mets ordinaire ? Et si l’on était hors d’état de prendre cette nourriture, pourrait-on vivre plusieurs siècles, comme on le fait vainement espérer ? Idées creuses et chimériques !

Appliquons ce beau principe de Lao tsé, qui veut que tout soit mol : appliquons-le au physique et au moral. Nous divisons les métaux en cinq espèces selon les couleurs. Si vous me dites que l’or et l’argent qui sont dans une si grande estime, tiennent de la nature du mol, parce que les

  1. Un lettré, pour peu qu’il soit sensé, a des mesures à garder, lorsqu’il parle du chef de la littérature et des premiers sages de l’empire : aussi notre philosophe prend-il un tour assez plaisant, pour donner à Confucius une durée qui égale la durée du Ciel et de la Terre, mais ce qu’il appelle la durée de Confucius, sera également la durée d’un million d’hommes, dont les âmes sont pareillement retournées à la masse éthérée, pour ne faire qu’un tout avec elle. C’est la même chose que si dans un vase plein de neige, on faisait de cette neige des statues de princes, de philosophes, d’empereurs. La neige venant à se fondre, il n’y a plus de distinction, et tout est réduit à une masse semblable, qui ne fait plus que le même tout.
  2. Chef de la secte des Tao Sseë.