Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/82

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dépouillement universel, aboutit enfin à aspirer à une immortalité chimérique, et à désirer ce qu’on ne saurait obtenir. Cette vertu vivifiante du Ciel, on veut la ravir, et se l’approprier : on refuse de la restituer un jour au Ciel et à la Terre ; et on prétend par là arriver au pur vide.

Mais peut-être continua-t-il, ignorez-vous l’histoire de ce visionnaire. Sa mère vit en songe un grand éléphant blanc, et au même instant elle sentit qu’elle était enceinte. Son fruit grossissait chaque jour considérablement, et enfin il sortit du sein de sa mère en déchirant ses entrailles, et ôta la vie à celle dont il venait de la recevoir : c’est ainsi que ce monstre vit le jour ; lui qui devait tout bouleverser dans la nature, ne doit-il pas être mis au nombre des pestes du genre humain ? Est-ce parce qu’il a tué sa mère en naissant, que le peuple idolâtre jeûne, fait des processions, et cent autres choses de cette nature, pour obtenir toute sorte de bonheur à leurs mères ? S’imagine-t-on que ce Fo, qui n’a pu sauver sa propre mère, aura le pouvoir de protéger la mère d’autrui ?

Poursuivons. Il vivait dans un de ces royaumes, qui sont à l’Ouest de cet empire : là, il était tout à la fois souverain pour le temporel et pour le spirituel, roi et chef de la religion. Il eût une reine et une concubine d’une grande beauté, et il en fit deux divinités. Son royaume abondait en or, en argent, en marchandises, en denrées, et surtout en pierres précieuses. Mais s’il était riche et fertile, il avait peu d’étendue, et ses habitants n’avaient ni force ni bravoure. Au contraire les peuples des différents royaumes, dont il était environné, étaient robustes, actifs, et ne respiraient que le sang et le carnage. Ainsi les États du Fo étaient sujets à de fréquentes irruptions.

Fatigué de tant d’insultes, auxquelles il ne pouvait résister, il abandonna son royaume, et embrassa la vie solitaire. Il se mit ensuite à exhorter les peuples à la vertu, et il débita la doctrine de la métempsycose qu’il avait inventée, faisant passer et repasser les âmes d’un corps dans un autre ; gardant néanmoins un certain ordre, par lequel la vertu était récompensée, et le vice puni. Il infatua les peuples circonvoisins de ces folles imaginations. Son dessein était d’intimider ses persécuteurs, et de leur persuader que s’ils continuaient les ravages qu’ils faisaient sur ses terres, ils seraient après leur vie changés en chiens, en chevaux, et même en bêtes féroces.

Pendant douze ans qu’il travailla à répandre sa doctrine, il entraîna à sa suite une foule prodigieuse d’ignorants, dont il renversa la cervelle : avec ce secours il remonta sur son trône, il devint très puissant ; et s’étant remarié, il eût une nombreuse postérité. Tel fut le fruit de ses stratagèmes ; tandis qu’il n’entretenait ses disciples que du vide des biens de la terre, il les recherchait avec empressement, et s’en procurait le plus qu’il lui était possible.

Du reste, n’allez pas juger que la doctrine du Fo soit excellente, parce qu’elle s’est si fort étendue dans cet empire. Elle ne s’est accréditée,  que parce que la doctrine de nos anciens sages était presque éteinte. L’ignorance et la corruption du cœur ont donné entrée aux plus grossières erreurs.