Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit que le corps est notre domicile ; que l’âme est l’hôtesse immortelle qui y loge, et que semblable à un voyageur, elle passe d’un logement à l’autre ; que l’enfant se nourrit du lait de sa mère, de même que les habitants d’un pays boivent l’eau du fleuve qui l’arrose. De là le corps de nos parents n’est qu’un logement, et il est naturel de le regarder avec le même mépris qu’on a pour un amas de bois et de terre, dont une maison est construite. N’est-ce pas là vouloir arracher du cœur de tous les hommes la vertu hiao, l’amour respectueux pour les parents ? N’est-ce pas étouffer dans nos cœurs les sentiments, qui nous unifient si étroitement avec eux, comme n’étant que la participation d’une même substance céleste et vivifiante.

2° Ce même livre, qui représente nos corps comme un simple domicile, où nous prenons notre logement, porte à négliger le soin du corps, et à lui refuser l’affection et la compassion si nécessaires pour sa conservation. C’est ce qui porte ces disciples de Fo, qui se dégoûtent de la vie présente, à chercher les moyens de s’en procurer au plus tôt une meilleure. On en voit qui vont en pèlerinage aux pagodes placés sur la cime des rochers, et qui, après avoir fini leurs prières, comme si elles avaient été exaucées, se précipitent la tête la première dans d’affreux abîmes. D’autres prodiguent leur vie en se livrant aux excès les plus honteux : quelques autres qui trouvent des obstacles à leurs indignes passions, vont de concert se pendre ou se noyer, afin de renaître maris et femmes. Voilà les suites du dogme insensé de la métempsycose.

3° En s’accoutumant à ne regarder son corps que comme un lieu de passage, il est aisé d’oublier l’estime, le respect, et les égards qui lui sont dûs. C’est ainsi que des femmes et des filles, grandes dévotes du Fo, se laissent séduire par les bonzes et les tao-sseë, gens habiles dans les intrigues amoureuses. Ils leur débitent que ce corps, où l’on n’est qu’en passant, est une vile masure, dont on ne doit point se mettre en peine. Ils leur insinuent que plusieurs de leur sexe, en accordant des faveurs demandées, ont eu commerce avec le Fo lui-même sans le savoir : maintenant, ajoutent-ils, vous êtes du sexe faible et soumis ; n’en doutez pas, nous vous en répondons, en renaissant, vous deviendrez homme. Il n’arrive que trop souvent que des dames et de jeunes filles d’un riche naturel, et de familles distinguées, se trouvent déshonorées par cette canaille : elles en viennent enfin, sous de tels maîtres, à renoncer à toute pudeur. On ne se contente plus d’une ou de deux libertés furtives, et c’est un commerce de libertinage, qui dure toute la vie. Telle est la doctrine abominable, qui couvre d’opprobre les plus honnêtes familles.

4° Ceux qui, donnant dans ces ridicules visions, disent que le bien ou le mal de la vie présente est le fruit de ce qu’on a fait avant que renaître, s’autorisent de ce beau principe, pour s’abandonner à la débauche, et ravir impunément le bien d’autrui. Sachez, vous diront-ils, que nous ne faisons que reprendre ce qui nous appartient, car enfin nous savons qu’avant que de renaître, vous nous étiez redevable d’une telle somme.