Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/85

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Un libertin, qui tend des pièges à une jeune fille, s’il sait qu’elle est attachée au culte de Fo, ne vous souvenez-vous pas, lui dira-t-il, qu’avant que de renaître vous m’étiez promise en mariage ? Votre mort précipitée me priva du droit que j’exige, maintenant. C’est là ce qui a ménagé la disposition de nos cœurs, et la conjoncture favorable où nous nous trouvons. Vous voyez donc que cette monstrueuse doctrine[1] sert de voile pour couvrir les injustices les plus criantes, et les plus honteux désordres.

5° Ces sectateurs de Fo se persuadent qu’ils peuvent impunément se livrer aux actions les plus criminelles ; et que, pourvu qu’ils brûlent pendant la nuit un peu d’encens, ou qu’ils fassent quelques prières devant l’idole, non seulement leurs crimes sont effacés, mais encore que sous sa protection ils sont à couvert des poursuites de la justice. Un seul trait vous le fera connaître.

Un voleur s’était glissé jusque dans l’intérieur du palais impérial : il fut découvert et arrêté par les officiers de dedans. Quand on l’eût bien fouillé, on le dépouilla de ses habits, et on lui vit le corps tout couvert de différents billets remplis de textes du Fo. Il s’était imaginé que ces billets l’empêcheraient d’être découvert ; qu’il pourrait voler impunément ; ou que du moins ils lui procureraient le moyen de s’évader.

6° Les dévots de cette secte sont tout occupés de pèlerinages qu’ils font à certaines montagnes. Ils vivent dans la plus grande épargne,

  1. Quelque bien fondé que soit le philosophe chinois à regarder la doctrine du Fo comme la source d’une infinité de désordres, on pourrait avec beaucoup plus de raison lui faire le même reproche sur son système. Car si, selon le plan de doctrine qu’il se forme, cet univers n’a pas été produit, et n’est pas gouverné par une première et souveraine intelligence ; si le Ciel et la Terre ne se maintiennent dans ce bel ordre, que par le seul mouvement naturel et nécessaire ; si dans cette grande machine tout se meut mécaniquement, chacun peut se dire à soi-même : je n’ai point de fin hors de moi ; c’est à ma félicité présente que je dois penser ; le temps de la vie est court et incertain : de quelle autorité prétend-on me donner des lois ? C’est la force et non le devoir qui m’obligent de m’y soumettre : les éloges qu’on donne à cette soumission, en payent mal la contrainte : dire que l’autorité qu’on exerce sur moi est émanée du Ciel, c’est un pur verbiage, puisque ce Ciel n’est que matière ; qu’on ne parle point ni de vertus, ni de vices, ce sont des termes vagues, qui ne laissent d’idées que celles qu’on a reçues de l’éducation, et des préjugés inspirés dans l’enfance. Ainsi point d’instructions, point de réprimandes, point de lois, point de châtiments, point de gouvernement : tout cela est inutile ou injuste : le penchant doit être l’unique règle de conduite. Ces conséquences suivent naturellement de ce système, et conduisent, comme on voit, à tous les crimes. Pour le mieux comprendre, il faudrait se trouver dans une ville qui fût toute composée d’athées : c’est ce qui ne s’est point encore trouvé, et ne se trouvera jamais. Car s’il y a des athées par le cœur, c’est-à-dire, qui voudraient bien qu’il n’y eût point de Dieu vengeur des crimes, il est très rare d’en trouver qui soient athées par l’esprit, c’est-à-dire, dont la raison soit affaiblie jusqu’à méconnaître entièrement l’auteur de leur être, et à ignorer une vérité, qui est gravée dans chaque partie de cet univers. Mais dans cette supposition, quelle serait la confusion et la corruption qui règnerait dans cette ville ? On s’y applaudirait d’abord de s’être mis au large, et de n’être plus alarmé par la crainte de la justice divine : mais serait-on longtemps à secouer toute sorte de joug, et à vouloir vivre dans l’indépendance ? Et ne s’abandonnerait-on pas aux excès les plus monstrueux ?