Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/92

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vent froid, destitué de toute chaleur animale. Que restera-t-il du défunt, sur quoi vos ministres d’enfer puissent exercer leur rigueur impitoyable ?

Mais supposons que le grand démon He kang fang (c’est l’un des trente-six kang du Tao kia) veuille s’emparer de l’âme de quelque scélérat, après qu’elle a été dispersée, et qu’il souffle adroitement toutes ses parties pour les réunir ensemble, afin que cette âme puisse être châtiée pour ses crimes au tribunal du juge infernal : croyez-vous que ces démons auraient le loisir et la patience de rassembler toutes ces parties subtiles, éparses de côtés et d’autres ?

Ce raisonnement du philosophe ne fut pas sans réplique : on nous assure, lui dit-on, que le Dieu Yen vang, et les autres juges, ses ministres, fixent le moment de la naissance de tous les hommes ; qu’ils déterminent s’ils seront mariés, et à qui ; s’ils auront des enfants, et quel sera leur caractère ; s’ils seront riches ou pauvres. Enfin tout ce qui doit leur arriver est marqué sur le livre de Yen vang, et de là leur destinée est invariable, et il n’y a aucun changement à espérer. Avez vous quelque chose à dire contre cette doctrine ?

Ne savez-vous pas, répondit le philosophe, ce qui est rapporté dans vos propres livres ? Voici ce que j’ai lu dans le livre de Huien ou tchuen : certain démon, appelle Yao mo[1], dévorait continuellement des hommes : mais le Dieu Hiuen ou venait à leur secours, et en préservait un grand nombre de sa fureur. Sur quoi voici comme je raisonne : ou Yen vang avait déterminé le nombre de ceux qui devaient être dévorés, ou il ne l’avait pas déterminé : s’il ne l’avait pas déterminé, votre hypothèse tombe d’elle-même : s’il l’avait déterminé, pourquoi le Dieu Hiuen ou faisait-il d’inutiles efforts, pour sauver des gens condamnés irrémissiblement à être dévorés ?

    nouveaux, spirituels, immortels : il prétend que l’âme est une portion de matière plus subtile qui se détruit, de même que le corps, par la désunion de ses parties : mais cela supposé, comment est-ce que l’âme s’unit au corps ? Étant matière, elle ne peut lui être unie que comme un corps l’est à un autre corps. Il est évident que deux corps ne peuvent être unis que par la surface. Une telle union suffit-elle pour expliquer ce que nous éprouvons touchant toutes les parties de notre corps, et le sentiment de l’âme ? D’ailleurs, si l’âme est composée de parties, de même que le corps, chaque partie a des fonctions qui lui sont propres. Dans quelle partie mettra-t-il la faculté de penser ? La matière peut-elle devenir un être pensant ? Il faut que, selon son hypothèse, il soutienne encore que l’âme n’étant qu’une masse de matière mise en mouvement, n’est nullement libre ; que le moindre mouvement de main, auquel je me déterminai hier, a été nécessaire, et n’a pu être omis, de même que le soleil n’a pu manquer de s’élever sur l’horizon, et qu’afin que je n’eusse pas remué la main, il eût fallu que dès le commencement du monde la matière eût reçu un mouvement naturel, tout différent de celui qu’elle a eu d’abord. Quelles absurdités n’est-on pas obligé de soutenir, quand on ne veut point démordre des faux principes qu’on a établis !

  1. Saint Épiphane croit que Pythagore est l’inventeur du dogme des deux principes. Il se pourrait bien faire que ce philosophe aurait encore puisé cette doctrine chez les disciples de Fo. On voit qu’ils tiennent deux génies de caractères bien différents : l’un qui ne cherche qu’à dévorer le plus d’hommes qu’il lui est possible ; et l’autre qui est tout occupé à sauver ceux que ce méchant génie veut engloutir.