Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/91

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ciel, sur la terre, et généralement sur tous les êtres ; et que c’est par cette raison qu’on lui a donné le nom de Ti, c’est-à-dire, de maître souverain. On voit même par la manière dont s’expliquent quelques-uns de nos savants, que le Chang ti est au fond la même chose que le tai ki, dont je vous ai entretenu. S’est-on jamais avisé de dire que le tai ki eût une figure qui le rendît visible ? D’où il est aisé de voir que quand il est dit qu’il faut faire des sacrifices au Chang ti, c’est uniquement au ciel qu’on doit les faire avec un cœur pur.

Tout ce que vous nous dites, s’écria un de l’assemblée, tend à prouver que ce sont autant de fables que nous débitons, lorsque nous disons qu’il y a un enfer, un Dieu appelé Yen vang, qui est le maître de cet empire souterrain, des Lo han, c’est-à-dire, des esprits qui règlent la destinée de tous les hommes. Ce sont pourtant eux, à ce qu’on rapporte, qui conduisent l’âme dans les corps au moment de leur naissance, et qui les en arrachent au moment de la mort, pour les entraîner au lieu de leurs supplices, où elles sont cruellement tourmentées par d’autres esprits. Si un homme pendant la vie a pratiqué la vertu, il ne manquera pas de renaître dans un état de splendeur et d’opulence. Si même les animaux ont vécu selon leur condition, ils se verront transformés en hommes. Au contraire, une personne qui se sera livrée aux vices honteux, et qui aura suivi ses appétits déréglés, deviendra bête brute. Si les animaux sont plus féroces, que ne comporte leur nature, après leur mort ils ne passent plus à une autre vie, et leur âme est entièrement éteinte. Voilà ce qu’on nous enseigne : serait-ce autant de faussetés ?

Je vous parlerai franchement, répondit le philosophe, Oui, tout cela est faux. Deux personnes mariées habitent ensemble : l’un et l’autre concourent à former le fruit qui est d’abord conçu dans le sein de la mère, où il prend peu à peu d’insensibles accroissements. Si selon vos idées, il fallait attendre que le fœtus fut tout à fait formé, pour que l’âme vint à s’y insinuer, par où cette âme trouverait-elle une entrée pour se glisser dans ce corps nouvellement formé ?

Disons plutôt qu’une certaine quantité de sang s’unit dans le sein de la mère ; qu’elle y fait un tout ; qu’elle fermente, et qu’elle commence à se mouvoir. C’est alors un être d’une espèce particulière. Ainsi l’homme est un composé qui résulte de l’union d’une chose sensible, et d’une autre invisible, et qui échappe aux yeux : c’est le ki. Tant que cette union subsiste, on est susceptible de douleur : au moment qu’elle cesse, on devient insensible. Qu’un homme soit paralytique de la moitié du corps, appliquez le feu à cette partie frappée de paralysie, il ne ressentira aucune douleur : que ce même homme-là soit mort, le hing, ou ce qui est en lui de visible, est séparé du ki, ou de ce qui était invisible. Ce ki s’est évaporé[1] en atomes qui voltigent çà et là, ou qui se changent en un

  1. Ce philosophe s’est récrié contre le sentiment des sectaires, qui prétendent que le corps n’est qu’un domicile où l’âme loge en passant ; il suppose que l’âme, de la manière qu’il l’entend, est unie au corps. Mais il n’admet point d’âmes qui soient des êtres