Page:Du halde description de la chine volume 4.djvu/257

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qui n'avais rien pris de la journée, et qui depuis huit à dix jours n'avais pas eu le loisir de me reposer ni de manger qu'à la hâte, et comme à la dérobée, parce que nous étions occupés jour et nuit à aller et revenir, ou à traduire les papiers qui se faisaient de part et d'autre, ou à traiter avec les ambassadeurs de l'un et de l'autre parti. Mais il faut avouer que Dieu nous a protégés particulièrement dans cette occasion, et qu'il a tellement disposé les choses, que sans que nous soyons entrés dans une grande négociation qui eût été peu sortable à notre état, nous avons si bien ménagé cette affaire, et si bien renoué la négociation, presque entièrement rompue deux ou trois fois, qu'enfin cette paix s’est heureusement conclue, de manière qu'il n'y avait personne depuis les ambassadeurs jusqu'aux derniers soldats, qui ne publiât hautement que le succès nous en était dû, et que sans nous, jamais cette paix ne se serait faite. En effet les esprits étaient si pleins de défiance les uns des autres, les génies, les mœurs, et les coutumes des deux nations si différentes, qu'ils eussent difficilement pu convenir ensemble, si à force de remontrances et de prières, nous ne les eussions rendus capables les uns et les autres de ne se point obstiner à ne rien céder. Aussi le chef des plénipotentiaires moscovites nous promit-il de rendre témoignage aux grands ducs ses maîtres, des bons offices que nous leur avions rendus, nous faisant espérer qu'en vue de ce service, il protégerait et favoriserait notre Compagnie dans son empire. D'ailleurs les chefs de nos ambassadeurs nous ont rendu la même justice ; car ayant envoyé deux de leurs officiers à l'empereur, pour lui rendre compte de ce qui s'était passé dans le cours de cette négociation, ils leur ordonnèrent de dire à Sa Majesté, que sans nous une affaire si importante n'aurait jamais été terminée, et qu'ils nous étaient redevables du succès, louant le discernement de Sa Majesté d'avoir su si bien choisir son monde, et de leur avoir ordonné de nous croire et de se fier entièrement à nous. Le temps fut inconstant, partie serein, partie couvert, et il plut même un peu. Le 8 au matin le chef des plénipotentiaires moscovites envoya saluer nos ambassadeurs, et en même temps leur faire un présent d'une horloge sonnante, de trois montres, de deux vases de vermeil doré, d'une lunette d'approche de quatre pieds environ, d'un miroir d'un peu plus d'un pied de haut, et de quelques fourrures. Le tout bien estimé, ne pouvait pas monter à plus de cinq ou six cents écus, encore avait-il tellement disposé les choses, que tout ce qu'il y avait de considérable était presque tout pour le premier des deux chefs de l'ambassade ; le second chef, oncle de l'empereur, qui avait un rang et un pouvoir égal à l'autre, en parut extrêmement offensé ; mais nous raccommodâmes la chose le mieux qu'il nous fût possible, en faisant en sorte que le tout fût présenté à nos ambassadeurs en commun ; ils acceptèrent le présent après quelques difficultés et ils résolurent entr'eux de ne s'en rien approprier, mais de l'offrir à l'empereur.