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Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/43

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LE NIGER

mitive manière de le conserver, qui de loin décèle leurs villages par une peu agréable odeur. Le sel est rare et coûteux. Ils se contentent d’éventrer le poisson et de le faire sécher au soleil sur le toit de leurs cases ou accroché aux clôtures. Durci, roux, gondolé, il est alors assez semblable à des morceaux d’écorce, et les femmes vont le vendre dans les villages agricoles ou sur les marchés des villes. Et les nègres terriens s’en régalent, car — comme bien l’on pense — leur fade couscous de mil s’en trouve fortement relevé !

Mais le Boso n’est pas pêcheur seulement. C’est aussi le batelier du Niger, et en ce rôle je l’ai vu déployer d’admirables qualités physiques, ne le cédant en rien comme endurance et sobriété aux serviteurs des océans. À six, à huit, je les ai eus pour équipage sur ma grande barque répartis par moitié à l’avant et à l’arrière. Jour et nuit nous marchions. Tantôt assis, ils enlevaient le bateau à la pagaie lorsque l’eau était profonde ; tantôt debout, ils le faisaient glisser à la perche, arcboutés sur de longs bambous, quand le fond se laissait atteindre. Cette alternance était leur seul repos dans la journée avec les moments des repas. Et quels repas ! Si je les avais laissés faire, parfois ils se seraient contentés de quelques poignées de mil, non pilé, non cuit, simplement trempé dans l’eau pour tout régal ! Tour à tour, eux-mêmes excitaient l’alerte manœuvre en clamant : « Tara ! (vite) Tara ! Bosos,  » et la cadence des pagaies ou des bambous s’accélérait, et l’embarcation filait par grandes secousses. La nuit nous retrouvait en route. Quand la lune tardait à se montrer ou que le sommeil était trop invitant, l’un d’eux entonnait quelque monotone et mélancolique mélopée dont il improvisait les brefs couplets, repris en chœur par ses compagnons. Le