Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome I, 1742.djvu/111

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& cinq Cohortes dans un autre. La Légion servoit toute entiere dans la même armée. Une Légion ne se séparoit point même quand la campagne étoit finie. Souvent elle passoit l’Hyver dans le même Camp, ou du moins dans des Camps voisins les uns des autres. L’usage de mettre les troupes en Garnison dans les Villes, n’avoit point lieu sous le Haut Empire. Jusques au regne de Constantin Le Grand, qui, comme nous le dirons dans la suite, changea l’ancien usage, les troupes hivernoient dans des Camps qu’on appelloit des Camps d’Hyver. Ils étoient placés dans l’intérieur du Païs, et le Soldat qui avoit été obligé à passer l’Eté sous des Tentes de peau, pouvoit s’y barraquer, mais il falloit toujours qu’il s’y retranchât & qu’il y fît le service aussi exactement que s’il eût été au milieu du Païs ennemi. Voilà ce qui a rempli les Gaules et les autres Provinces de l’Empire Romain, de ces Camps retranchés, qui s’appellent encore aujourd’hui Camps de César, c’est-à-dire, camps de l’Empereur en général, et non point Camps de Jules Cesar.

Il étoit même ordinaire avant le regne de Domitien, de faire camper ensemble dans le même Camp d’Hyver, plusieurs Légions : ce fut lui qui défendit cet usage, parce que Lucius Antonius président de la Germanie supérieure, avoit profité d’un pareil campement pour faire révolter les Troupes qui étoient sous ses ordres.

Ainsi les Soldats qui composoient une Légion ne se perdoient presque jamais de vûë ; & comme ils se connoissoient dès l’adolescence, ils sçavoient quels étoient ceux d’entr’eux qui avoient plus d’esprit & plus de courage que les autres. Les Officiers d’un mérite supérieur connoissoient encore la portée & les inclinations de leurs compagnons, & ils sçavoient ce qu’il falloit dire à chacun d’eux pour le faire entrer dans une cabale, ou pour le retenir dans un parti. Il étoit impossible que les Empereurs ne vissent pas clairement que l’usage de faire camper toûjours les armées avoit ses inconvéniens ; mais ils étoient si persuadés qu’on ne sçauroit maintenir une discipline exacte dans les Troupes, à moins qu’on ne tienne toûjours ensemble les Soldats et les Officiers, & qu’on ne réduise les uns et les autres à ne vivre qu’avec des personnes de leur profession ; que bien que Rome fût le