Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome I, 1742.djvu/42

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Je soutiens donc en premier lieu qu’il a été, moralement parlant, impossible qu’aucun des Ecrivains qui ont travaillé avant l’invention de l’Imprimerie sur l’Histoire de France, ait eu entre les mains tous les monumens litteraires qui sont entre les nôtres. Celui qui aura pû s’aider des uns, aura même ignoré que la plûpart des autres existassent encore. Peut-être, & je l’ai dit, n’y avoit-il pas alors en France trois Manuscrits de Procope. A ce que disent les personnes les plus capables d’en juger, la plûpart de ceux qui sont dans nos Bibliothéques, ont été copiés dans le quatorziéme siécle ou dans le quinzième, & ils n’ont point été apportés en France l’instant d’après celui où l’on a eu fini de les écrire. Il faut enfin que quelques-uns des Manuscrits de nos antiquitez litteraires fussent bien rares, puisque les Sçavans, qui depuis cent cinquante ans ont fait leur occupation principale du soin de fouiller dans les Bibliotheques, pour y déterrer quelqu’ouvrage ancien qui n’eût pas encore été imprimé, afin de le publier, n’ont pû recouvrer une copie de ces ouvrages-là, que plus d’un siecle après qu’on a eu commencé à faire cette sorte de recherche. Or, & je l’ai dit suffisamment, ce n’est pas dans un seul de ces écrits qu’on peut trouver l’Histoire de notre Monarchie ; c’est en éclaircissant ce qui se lit dans un, par le moyen de ce qui se lit dans un autre, qu’on peut venir à bout de composer cette Histoire.

En second lieu, je soutiens qu’en supposant que les Ecrivains, qui avant l’invention de l’Imprimerie, ont travaillé sur notre Histoire, ayent eu entre les mains tous les monumens litteraires qui sont entre les nôtres ; il seroit toujours vrai de dire, que ces Écrivains n’auroient pas pû en tirer un secours pareil à celui que nous pouvons en tirer. Il y a bien de la difference entre avoir sur la table le Manuscrit d’une Histoire, souvent imparfait, & y avoir un exemplaire de ce même Ouvrage dont l’Editeur qui l’a publié, a collationné le texte avec soin sur plusieurs copies anciennes, & qu’il a encore accompagné de variantes, de notes & d’explications, qui ont coûté plusieurs années de travail à leur Auteur. Etoit-il possible, par exemple, que ceux de nos Historiens, qui n’ont pû lire Gregoire de Tours que dans un Manuscrit ou deux, en tirassent autant d’utilité qu’en peut tirer un Historien qui se sert de l’édition que Dom Thierri Ruinart nous en a donnée sur un grand nombre de copies anciennes, & en s’aidant de toutes les observations faites par les Sçavans qui avoient travaillé avant lui sur le Livre dont nous par-