Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/173

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nouvelles. Néanmoins les flots excités par la tempête que vous comparez si bien avec les orages ordinaires, ne sont pas entierement calmés. Il ne faut point prendre la bonace où nous sommes pour une preuve que le vent soit entierement tombé, mais plûtôt comme une marque qui montre qu’il veut varier. Que le calme, s’il continuë, que le vent s’il vous devient contraire, n’alterent point vorre amitié, & que vos sentimens pour nous ne dépendent jamais des tems que vous aurez. Aimez toujours vos amis : si les conjonctures le permettent donnez-leur de vos nouvelles ; si cela se peut point conservez-leur au moins votre amitié, rien ne sçauroit l’empêcher. Nous sommes dans un siecle où vous devez esperer que le vaisseau après avoir passé sur le bord des abîmes que vous décrivez si bien dans votre Lettre, entrera enfin dans un port où il n’aura plus à craindre le naufrage. »

Toutes les phrases de cette lettre dans laquelle Avitus affecte de s’expliquer en langage figuré, parce que le style métaphorique épargne à celui qui s’en sert, la nécessité de nommer par leur nom et les choses et les personnes dont il entend parler, conviennent bien aux ménagemens que l’évêque de Vienne devoit garder, pendant qu’on ajustoit et qu’on se disposoit à faire jouer tous les ressorts de la révolution qui remît le roi Gondebaud en possession de ses Etats. On y apperçoit l’embarras d’un homme qui se doit du respect à lui-même, et qui dans la situation où il se trouve, ne sçait ce qu’il convient d’écrire à d’anciens amis, dont il veut en tous évenemens conserver l’affection, et dont il va quitter le parti. Si d’un côté il n’ose dire clairement les faits dont ses nouveaux amis lui ont fait confidence, parce qu’il ne veut point les trahir, d’un autre côté il est bien aise de faire deux choses. La premiere, pour s’expliquer ainsi, c’est de prendre date en mandant à ses anciens amis des choses telles, qu’il puisse en les expliquant un jour, se faire auprès d’eux le mérite de leur avoir du moins donné avant l’évenement, des lumieres sur tout ce qui alloit arriver. La seconde est de preparer ses anciens amis à n’imputer sa conduite, lorsqu’ils le verront changer de parti, qu’à la destinée qui s’est plû à le mettre dans une situation telle, qu’il ne pouvoit s’empêcher de se laisser entraîner au torrent. On voit enfin dans la dépêche d’Avitus, que quoiqu’il arrive, il veut toujours conserver des liaisons particulieres avec une personne en grand crédit dans le parti qu’il est prêt d’abandonner, et même, s’il est possible, entretenir avec elle une correspondance reglée.