Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Dès qu’on expose à des hommes raisonnables, mais qui ne connoissent point encore les avantages des loix écrites et des tribunaux réglés, les bons effets de la jurisprudence qui prévient ou qui termine paisiblement des différends et des querelles qui sans elle ne finiroient que par des violences et par des combats, ils se préviennent naturellement en faveur de cette science, et ils conçoivent une espece de vénération pour ceux qui l’ont apprise. Aussi les Romains croyoient-ils que le moyen le plus efficace qu’ils pussent mettre en œuvre pour apprivoiser et pour accoutumer à l’obéïssance les barbares qu’ils subjuguoient, étoit celui de leur faire rendre la justice suivant une loi écrite et par des tribunaux reglés. En effet les barbares se prévenoient d’abord en faveur de ces nouveaux maîtres, qui faisoient regner l’équité, et une raison désinteressée à la place de la violence et des passions. Ce sentiment étoit si bien le sentiment général des barbares soumis de bonne foi à la domination de Rome, qu’Arminius voulant ébloüir et surprendre Varus qui commandoit pour Auguste dans une partie de la Germanie subjuguée depuis peu, commença par feindre, et par faire feindre à ses amis, ce sentiment de prévention et de respect pour les loix et pour les tribunaux romains. » Les Chérusques, die Paterculus, qu’on ne croiroit jamais, à les voir si féroces, pouvoir être aussi rusés qu’ils le sont en effet, feignoient sans cesse d’avoir des procès les uns contre les autres. Enfin soit en plaidant sur des contestations qu’ils n’avoient point, soit en remerciant Quintilius Varus de terminer paisiblement des differends qui n’auroient pas fini sans effussion de sang, s’il ne les eût pas décidés, soit en vantant l’équité des Loix Romaines si propres, disoient-ils, à civiliser les Nations les plussauvages, ils vinrent à bout de faire tomber le Général Romain dans une sécurité funeste. » Varus ne se tenoit pas mieux sur ses gardes dans un camp assis au milieu de la Germanie, que s’il eût été dans un tribunal dressé au milieu de Rome. Tout le monde sçait ce qui en arriva, et que l’armée d’Auguste fut surprise et taillée en pieces par les Chérusques, qui en avoient imposé à Varus, en témoignant pour la jurisprudence Romaine les sentimens de vénération que les barbares prenoient naturellement