Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/330

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d’être envoyé à Tréves d’où peut-être, disoit-il, je serai assez heureux pour ramener Attalus. L’Evêque agréa la proposition de Leon, qui prit aussi-tôt le chemin de ce pays-là, où d’abord il fit plusieurs tentatives pour tirer d’esclavage le neveu de son Maître ; elles furent toutes inutiles ; mais Leon loin de se rebuter, imagina un nouvel expédient. Ce fut de se faire vendre lui-même à notre Franc par un homme aposté, qu’il avoit gagné, en lui offrant de lui laisser tout l’argent qui proviendroit du marché. Dès que Leon & son Maître supposé, se furent promis par serment d’exécuter fidelement leur convention, ce Maître prétendu vendit Leon au Barbare pour le prix de dix sols d’or. A quoi es-tu le plus propre, demanda le Franc à son nouvel Esclave ? A quoi ? répondit Leon, je sçais faire la cuisine en perfection, & personne n’apprête mieux que moi tous les plats qui peuvent se servir sur la table d’un Maître qui veut faire bonne chere ; dans l’occasion je ferois le dîner d’un Roi, sans qu’on trouvât rien à redire à mon repas : Tant mieux, répliqua le Franc, il est demain le jour du Soleil, c’est le nom que les Barbares donnent au Dimanche, & mes parens & mes voisins ont coutume de venir dîner chez moi ce jour-là ; apprêtes-nous un si bon repas que mes convives disent en s’en allant, on ne fait pas meilleure chere à la table de nos Rois. Tout ira bien, répartit Leon, donnez ordre seulement qu’on me fournisse des poulets en quantité. Le Dimanche tout le monde loua excessivement le dîner, & le Franc prit tant d’inclination pour le nouvel esclave qu’il le fit son pourvoyeur, & qu’il lui donna encore la commission de distribuer journellement la pitance aux autres serfs. Cependant il se passa une année entiere avant que Léon pût trouver l’occasion d’exécuter son grand projet ; mais voyant qu’il avoit enfin acquis toute la confiance de son Maître, il crut qu’il étoit tems de prendre son parti & de tenter l’avanture. Un jour qu’Attalus étoit dans le pré où ses chevaux paissoient, notre fidele esclave s’assit sur l’herbe, comme pour se reposer, & il dit assez haut pour être entendu de celui qu’il vouloit sauver, quoiqu’il eût affecté de lui tourner le dos ; le tems de prendre le chemin de notre Patrie est arrivé, ainsi quand vous aurez fait rentrer vos chevaux dans l’écurie, ne vous mettez point à dormir ; attendez bien éveillé que je vous appelle. Ce qui déterminoit Léon à prendre cette nuit-là pour le sauver, c’est que son Maître