Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/36

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Quelle idée les Romains des Gaules n’auront-ils pas aussi conçue des grandes qualités du jeune roi des Saliens, en apprenant cet évenement où il fit voir si sensiblement qu’il avoit autant de justice que de courage, et autant de fermeté que de prudence ? Ne l’auront-ils pas destiné dès-lors à être un jour leur appui contre les ariens ? N’auront-ils pas songé dès-lors aux moyens qu’ils pourroient prendre, pour lui faire embrasser la religion catholique ?

S’il y a un fait constant dans notre histoire, c’est que Clovis nonobstant l’opposition du Franc qu’il châtia dans la suite, ne laissa pas de rendre sur le champ aux députés de saint Remy le vase d’argent qu’ils reclamoient. Grégoire de Tours, l’Abbréviateur, l’auteur des Gestes des Francs, Hincmar et Aimoin même le disent en termes précis. Nous avons rapporté les passages de ces écrivains. Cependant un auteur moderne, qui pour défendre le systême de l’ancien gouvernement de notre monarchie, qu’il avoit entrepris de soutenir, voit ou veut voir souvent dans tous les monumens litteraires de nos antiquités, le contraire de ce qu’on y a vû toujours, et de ce qui s’y trouve réellement, n’a pas laissé de raconter l’avanture dont il s’agit, dans les termes qu’on va lire[1]. » Je voudrois pouvoir me dispenser de rappeller ici l’Histoire si connue du vase de Soissons qu’un Franc refusa à Clovis au dessus de sa portion du butin, parce qu’il le vouloit rendre à l’Evêque qu’il destinoit d’engager dans les interêts de sa Nation. Car si d’un côté on y trouve un exemple de l’ancienne liberté des François, & de l’étendue de leurs droits, puisque l’opposition d’un seul mettroit obstacle à la volonté du Roi, on y trouve aussi-tôt après, celui d’une entreprise contre ce droit & cette liberté, ou plûtôt l’usage d’un faux prétexte, pour perdre un homme non coupable, mais odieux. Et plût au ciel que de tels exemples fussent oubliés pour jamais, ou que le principe qui les fournit fût effacé du cœur des Princes. On voit toutefois dans cet exemple les deux fonctions bien distinguées. Comme Roi, comme Chef de la Justice, Clovis acquiesce à un droit certain en laissant ce vase au soldat, parce que le partage étoit égal, qu’il étoit tombé dans son lot, & qu’il en avoit acquis la propriété absolue ; mais il demeure offensé contre celui qui use de son droit. » L’auteur ajoute à ce passage, où la vérité est bien alterée, un long raisonnement qui ne mérite point d’être transcrit, et dans lequel il suppose tou-

  1. Histoire de l’anc. gouv. de la France, pag. 50.