Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/35

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Roi même fut saisi de colere ; néanmoins dissimulant son émotion, il remit sa vengeance à un autre tems, & il se contenta pour l’heure qu’il ne fût plus parlé de tirer au sort, & qu’on lui permît de faire emporter le buire, qu’il rendit aux députés de saint Denis. » Si j’insére son nom dans la narration de Grégoire de Tours, quoiqu’elle ne le dise point, c’est pour la rendre plus claire, et je ne prête à cet historien que ce que j’emprunte d’Hincmar et de l’Abréviateur.

L’année suivante, Clovis ordonna que tous ses Francs eussent à se rendre armés de toutes leurs armes au champ de mars, afin qu’il pût examiner en faisant sa revûe, en quel état chacun d’eux tenoit les siennes. En allant de rang en rang, il se rencontra vis-à-vis l’insolent qui avoit donné un coup de sa francisque sur le vase réclamé par saint Remy, et il lui dit : personne n’a ses armes aussi mal tenues que le sont les vôtres. Votre javelot, votre épée, et votre hache d’armes ne sont point en état de servir ; et prenant cette hache, il la jetta par terre. Le Franc s’étant baissé pour ramasser sa hache d’armes, Clovis d’un coup de la sienne lui fendit la tête, en disant : je te rends le coup de francisque que tu donnas l’année derniere à Soissons sur le vase que je demandois. Clovis dès qu’il eut donné ce terrible exemple, congédia ses troupes. Quelle terreur ne devoit point inspirer aux mutins et aux factieux un roi de vingt ans, qui au sortir de sa premiere victoire avoit eu la force de commander à son ressentiment, et d’attendre afin de le satisfaire à propos, une occasion où il pût se venger non point en particulier, qui se livre aux mouvemens impétueux d’une passion subite, mais en souverain qui se fait justice d’un sujet insolent ? Nous avons déja observé, et nous aurons occasion de l’observer encore, que le gouvernement n’étoit pas le même dans toutes les tribus qui composoient la nation Germanique. Non-seulement il y avoit des tribus qui se gouvernoient en république, quand d’autres étoient gouvernées par un roi ; mais tous ces rois n’avoient point la même autorité dans leur Etat. Les uns étoient encore plus absolus dans leur royaume, tandis que les autres n’étoient dans le leur que simples chefs de la societé. Quel que fût originairement le pouvoir de Clovis sur la tribu dont il étoit roi, plusieurs actions pareilles à celle que nous venons de raconter, et trente années de prosperité, ont dû le rendre un souverain despotique. Son mérite personnel et ses succès lui auront donné le pouvoir que la loi ne lui donnoit point. Ainsi son crédit auprès de ses sujets sera devenu une autorité absolue qu’il aura transmise à ses enfans.