Page:Dubut de Laforest - Mademoiselle de Marbeuf, 1888.djvu/3

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adresse indiquée par le valet de chambre du baron Horace, et M. de Pomeyrol répondit : et « La Bierge mort. »

A dater de l’affreuse aventure, Mlle de Marbeuf écrivit non pas un journal prétentieux de bas-bleu, mais de simples noies sur sa pauvre vie, et ses pages arrachées au livre de douleur témoigneront peut-être des angoisses de la vengeresse et aussi de son courage et des forces vives de son âme :

Paris, le 8 juin 1886. — Hier, on a ramené à Paris le corps de Marcel : on le conduit à Angoulême il sera inhumé dans le caveau de la famille. Une lettre de Pomeyrol venait de m’informer de l’heure du train de Belgique, et j’attendais sur le quai de la gare du Nord, avec une brassée de fleurs : des hommes enlevèrent du wagon étranger le cercueil de mon amant chéri, et ils le portèrent vers une autre voiture. Le baron Horace et l’autre témoin de Marcel, M. le prince d’Austerlitz, tous deux tête nue et bien pâles, précédaient le cadavre ; enveloppées de longs voiles noirs, Mlle de La Bierge et ses deux filles suivaient, chancelantes, au milieu du vacarme des fers, de la vibration des timbres et des sonneries de cloches, arrivée et départ, entre un flot banal de voyageurs ; le monde circulait indifférent devant mon pauvre mort ; le sifflet des locomotives semblait le huer ! Pomeyrol s’occupait de la translation des restes sacrés ; il donnait des ordres à voix basse : un diable chargé de malles qui passait à fond de train heurta le cercueil, et je m’avançai pour le défendre [...Heureusement, personne ne m’aperçut  ; je continuais à me cacher, à regarder, à souffrir, à surveiller, sans larmes. La famille et les deux amis s’éloignèrent ; la voiture du mort devait les rejoindre à la gare d’Orléans ; on étiquetait le fourgon vert sombre ; je glissai quelques pièces d’or à un employé, et celui-ci me donna le temps de baiser enfin l’horrible boîte et de jeter mes fleurs !... Le soir, Juana, Gontran et Gabriel ont ri avec Christiane, et Christiane a sablé le Champagne ! Puis, l’amour, -toute la lyre !

Le 11 juin. —Gontran me presse de quitter Paris et de m’installer sur une plage mondaine ; la géante trouve que j’ai l’oeil mauvais.

Le 14 juin — A son retour des obsèques, M. de Pomeyrol a bien voulu m’accorder une entrevue ; aujourd’hui, j’ai passé deux heures avec notre ami. Mon Dieu ! qu’il me faisait mal à entendre ! « J’avais, dit-il, la direction du duel ; je commande : Feu ! Je compte : un, deux trois ! et Marcel tombe, il tombe ; et tout ce que j’aimais n’est plus qu’une chose morte ! » Le baron marchait, les yeux rouges, le dos voûté, blanc comme un linge : « Christiane, vous pouvez le pleurer ; il vous adorait ! Moi, je vous dis adieu ! vous ne me reverrez