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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/325

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AUX GLACES POLAIRES

Et ils s’assirent aussitôt l’un à côté de l’autre.

La nuit venue, on se coucha. Mais la femme s’étant réveillée, elle fut bien étonnée de ne plus voir son mari.

— Où peut-il être allé ? se demandait-elle.

Cependant, voilà que tout à coup elle entendit un bruit insolite dans la loge, après que le feu s’y fût éteint. C’était un bruit tel que le ferait un chien en grugeant des os dans le foyer.’

— Quel peut-être ce chien que j’entends ronger ainsi des os ? se demanda-t-on ; car il n’existait point de chien avec ces gens-là.

Vite on se lève, on rallume le feu, on cherche dans tous les recoins., Mais de chien, point.

Les habitants de la tente s’étant recouchés après cette alerte, le même bruit se renouvelle dès que l’obscurité se fait de nouveau.

— D’où vient donc ce chien qui rôde dans notre loge ? Nous n’avons point de chien avec nous, se dirent les Dénés.

Alors, l’un des frères lança sa hache de pierre dans le coin d’où partait le bruit qui les épouvantait. Un cri de douleur retentit au milieu de la nuit. Vite on se lève, on attise le feu, on produit de la lumière. Et qu’aperçoit-on ? Là, sur les cendres, baigné dans son sang, est un gros et beau chien noir que la hache a tué. Quant à l’étranger, il ne reparut plus jamais.

— Ah ! c’était donc ce chien qui, homme durant le jour et marié à notre sœur, se métamorphosait en chien pendant la nuit, se dirent les frères Dénés ! C’est un ennemi, un Eyounè (revenant, fantôme).

Ainsi pensèrent les deux frères. Aussitôt, ils chassèrent leur sœur de leur compagnie, parce qu’elle avait dormi avec le chien, le magicien ennemi, l’homme-chien. Ils furent sans pitié pour elle, afin de ne pas mourir eux-mêmes.

Elle s’installa donc loin du pays de ses pères, pleurant toute seule, dans le désert, à l’orient du territoire déné. Elle vécut là tendant des lacets aux blancs lapins des bois, et des hameçons en os ou en arêtes aux vertes truites des grands lacs.

Cependant, la femme Couteau-Jaune mit au monde six petits chiens. Honteuse de son fruit, mais cependant amoureuse de sa progéniture, elle cacha ses petits dans une sacoche à coulisse, faite avec des peaux de jambes de renne cousues ensemble.

Un jour qu’elle était allée, comme de coutume, visiter ses collets à lièvre, elle aperçut, à son retour, sur les cendres tièdes du foyer, des empreintes de petits pieds nus d’enfants.

— D’où viennent ces pistes humaines, se dit la pauvre mère ? Il n’y a dans ma sacoche que mes petits chiens.

Le lendemain, le même phénomène se renouvela.

— Évidemment, ce sont mes petits qui en agissent ainsi, se dit la Couteau-Jaune. Ils sortent, de jour, pour jouer, et alors ils sont hommes comme leur père. Mais rentrés dans les ténèbres, ils redeviennent chiens. Bien ! Je sais ce que je vais faire.