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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/326

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LES PLATS-CÔTÉS-DE-CHIENS

La pauvre mère attacha donc une longue lanière de cuir à la coulisse dont l’orifice de la sacoche était garnie, et, la prenant dans sa main lorsqu’elle partit, le lendemain, pour sa course ordinaire, elle dit :

— Ah ! mes petits, soyez bien sages, voilà que maman s’en va quérir des lièvres blancs pour votre repas.

Ce disant, elle partit, traînant sa lanière ; mais au lieu de s’en aller, elle se blottit derrière un fourré de buissons et attendit, tremblante, que les petits chiens sortissent de leur nid sombre et chaud. Ce moment ne se fit pas attendre. Quelques instants après, elle entendit les petits chiens qui s’entre-disaient : « Maman est partie. Sortons et jouons ».

Alors un petit chien mit le nez à l’air, il huma l’air de tous côtés ; puis, se voyant seul, il bondit hors de la sacoche, et, à peine sur le foyer, il devint un beau petit garçon. Un autre, puis un autre, suivirent le premier, et les voilà tous les six, petits garçons et petites filles, jouant, dansant et se divertissant autour du feu central de la loge. Le cœur de la femme dénée palpitait d’émotion.

— Ah ! si je puis les empêcher de rentrer de nouveau dans les ténèbres de la sacoche, se dit-elle, ils seront hommes pour toujours.

Ce disant, elle tira vivement à elle la lanière qui en fermait la coulisse ; mais, avant que l’ouverture du sac eût le temps de se resserrer, trois petits enfants y avaient sauté et y étaient redevenus chiens. Quant aux trois autres, deux petits garçons et une petite fille, ils essayèrent bien aussi de se dérober à la lumière ; mais ils demeurèrent hors du sac et conservèrent la nature humaine. La femme accourut alors. Elle s’empara de ses trois enfants, elle les couvrit de caresses, elle leur donna de petits vêtements blancs en peaux de lièvre tressées, et les éleva. Quant aux trois autres, qui s’étaient obstinés à redevenir chiens, elle les détruisit sans pitié.

Les deux frères devinrent très puissants par la vertu de la magie paternelle dont ils avaient hérité. Leur tente était constamment bien pourvue de viande de venaison. Alors ils pensèrent à aller visiter leurs oncles maternels, et ceux-ci ne les repoussèrent plus, comme ils avaient fait de leur mère, parce qu’ils étaient de bons chasseurs et des hommes redoutables par la magie.

Les deux frères épousèrent ensuite leur sœur et eurent un grand nombre d’enfants. Et ces enfants, c’est nous-mêmes, donc, nous les Dénés, que nos parents maternels nomment Lin-tchanrè, en souvenir de notre ancêtre, l’Homme-Chien.[1] Telle est leur légende. Elle se diversifie avec les narra-

  1. Traditions Indiennes du Canada Nord-Ouest, Émile Petitot, 1888.