Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/85

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Grises. J’ai fait ces voyages, aux temps si durs des commencements, alors que nous n’avions que des habits en cuir d’orignal, qui se recoquillaient, en séchant, après s’être imprégnés de nos sueurs, et nous forçaient à aller demi-courbés. Il m’arriva de courir trente-huit heures sans répit, sous la menace de mourir de faim. Un jour, j’arrivai à Athabaska, exténué, n’ayant pu mordre, à cause de mes dents malades, dans une boulette de pémican (viande sèche, pulvérisée et mêlée de suif) que j’avais pour toutes provisions,
Le R. P. Laity
et que je n’avais pu faire dégeler, ayant perdu mon briquet batte-feu. J’avais une entorse au genou ; ma jambe était toute bleue ; j’étais si mal en point que Mgr  Faraud, me voyant tomber sur le plancher de la maison, eut peur et me crut perdu. J’ai connu le mal de raquette, autant que personne, je crois… Mais tout cela je l’ai enduré, je le pouvais, j’étais fort, et de bonne volonté. Ce à quoi je n’ai pu me faire, ç’a été la soif. Oui, la soif. Et pensez que j’étais Breton ! faisait-il, en esquissant l’un de ses derniers sourires. Ah ! que j’ai donc souffert, durant ces heures où l’on ne pouvait s’arrêter pour faire fondre un peu de neige, et où il était impossible de casser une glace trop épaisse ! Que j’ai donc envié le sort des chiens, happant la neige pour se désaltérer ! Mais aussi, il fallait voir lorsqu’un endroit se rencontrait, où l’on savait qu’un courant plus fort amincissait la glace ! Deux coups de hache faisaient jaillir l’eau vive. Je pouvais boire. À la première gorgée, on eut dit qu’une boule de glace prenait la place du cerveau… Il a fallu bien aimer le bon Dieu et les pauvres âmes, allez, je le vois bien maintenant, pour supporter cela ! La soif, la soif dans les courses de l’hiver, ce fut le vrai sacrifice de ma vie de missionnaire, le seul. Les autres ne comptent pas… Puisse le bon Dieu qui va me juger bientôt, l’avoir eu pour agréable ! Je le lui ai offert tant de fois, en union avec le sitio du Calvaire, pour la