Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/103

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lui d’Alembert, « sur le bout du nez. » Dans cette guerre d’escarmouches, ils s’avertissent et s’excitent et se couvrent l’un l’autre, suivant les péripéties du combat, en alertes compagnons d’armes et en bons « frères » ; et, contents l’un de l’autre, ils se donnent de petits noms familiers : l’un est Bertrand, l’autre Raton ; seulement, c’est à qui des deux fera tirer par l’autre les marrons du feu. « Frère Protagoras, écrit Voltaire, se contente de rire et oublie d’écraser l’infâme… Vous n’êtes libres qu’avec vos amis, quand les portes sont fermées ;… pourquoi ne donne-t-on pas une fois par an un bon ouvrage contre le fanatisme ? »

Le seigneur de Ferney en parlait à son aise, à cent cinquante lieues de la place du Palais de justice, où l’on brûlait les livres, et d’Alembert avait beau jeu, pour défendre les capucinades de l’Encyclopédie, de lui rappeler que tout cela était style de notaire et « qu’on en pourrait bien trouver l’équivalent dans son petit Dictionnaire philosophique ». Voltaire se le tenait pour dit et se dédommageait en donnant quelques « nasardes » de plus à l’infâme, qu’il continuait d’ailleurs lui-même « de combler ostensiblement de politesses ». Après tout, de quoi s’agissait-il pour les philosophes ? de faire croître contre vents et marées, et par tous les moyens, « la vigne du Seigneur », et le meilleur moyen était de travailler de concert et de rester unis. Et pour cela, pour rester bons amis, il n’y avait qu’à se rendre les uns aux autres de bons offices : comme de déclarer hautement et sans sourciller que Voltaire était bien supérieur à Corneille et à Racine, car « Corneille disserte, Racine converse et Voltaire remue » ; et de répondre, en récompense, qu’à Ferney on attend l’Encyclopédie « pour s’amuser et s’instruire le reste de ses jours ».

À ce jeu-là, d’Alembert et Voltaire devinrent les meilleurs amis du monde. « Il n’y a jamais eu, dit plaisamment Mallet du Pan, entre gens de lettres, de marché plus curieux que celui qui liait M. de Voltaire à M. d’Alembert. Par un