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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/105

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son caractère et de ses articles. Géomètre d’abord, il est vraisemblable qu’on lui doit le peu d’ordre qu’on rencontre dans les premiers volumes de l’Encyclopédie. S’il y a, dans ces volumes, quelque proportion entre les matières traitées, c’est sans doute à lui que l’honneur en revient et non au principal éditeur qui était, comme on sait, le désordre en personne. Mais surtout, très maître de lui, quoique très passionné, ce qui lui permettait d’être à la fois un habile et un sectaire, il sut être le modérateur de l’enthousiaste et débordant Diderot, comme il avait été, si l’on peut ainsi dire, le pondérateur de Voltaire qui, toujours instable entre deux extrêmes, tantôt jurait d’installer le plus compromis de tous les auteurs, Diderot en personne, dans un fauteuil académique et tantôt se glorifiait tout haut de rendre à Pâques le pain bénit. D’Alembert n’approuvait pas plus ces coups d’éclat que ces coups de tête : il aimait mieux écraser doucement le monstre en ayant l’air de le ménager : il ne fallait pas « arracher le masque à la superstition, mais le décoller peu à peu » et cela, sans se démasquer soi-même, sans jamais donner prise à l’ennemi. Il pouvait, en effet, en publiant ses Éléments de littérature, en 1759, se donner publiquement à lui-même « cette consolation qu’on n’avait pu tirer encore une seule proposition répréhensible du grand nombre d’ouvrages qu’il avait publiés jusque-là ». Et lorsque, quatre ans plus tard, le frère de « l’ami Pompignan », l’évêque du Puy, se permettait de « l’insulter » dans son Instruction pastorale, d’Alembert avait le droit de lui répliquer : « Vous m’avez mis expressément parmi les ennemis de la religion que je n’ai pourtant jamais attaquée » ; ce qui était exact à un adverbe près ; d’Alembert n’avait jamais attaqué directement la religion.

Faut-il, en terminant, lui reprocher ses précautions ou ses habiletés ? Il lui eût été bien facile, on le sait, de justifier sa tactique : à l’époque même où d’Alembert écrivait ces mots à l’évêque du Puy, Helvétius, pour avoir philosophé un peu librement, avait dû subir la honte d’une rétractation ; Rousseau, pour avoir écrit l’Émile, venait d’être