Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

geois », ce que le lecteur ne comprendrait certainement pas tout seul, si l’auteur ne lui en donnait la raison secrète : c’est « parce que leurs maisons sont carrelées ». Enfin, car il faut savoir borner ses plaisirs, qu’on nous permette encore ce trait : à l’article avaler, nous sommes informés qu’ « on voit à Leyde un couteau de dix pouces qu’un paysan avala et fit sortir par son estomac ». Inutile d’ajouter que l’article a été fait par le fils d’un coutelier que nous connaissons bien.

La principale raison et aussi, reconnaissons-le, la principale excuse de tous ces défauts et de bien d’autres, c’est que les auteurs ont dû travailler avec trop de précipitation : il fallait marcher du même pas que la science, qui marchait très vite au dix-huitième siècle. De là cet autre vice de l’Encyclopédie, le dernier que nous relèverons dans notre impartial résumé : à côté des articles mal faits, il y a ceux qui ne sont pas faits du tout, étant tout simplement pillés. Sans aucun doute, il est permis, il est même prescrit à une encyclopédie, de s’inspirer des travaux d’autrui, puisqu’elle n’est, après tout, que l’inventaire des découvertes antérieures, et Bayle n’avait-il pas dit lui-même, avec trop de modestie il est vrai, de son propre Dictionnaire, que c’était « une compilation informe de passages cousus les uns à la queue des autres » ? Pourtant, si elle doit résumer les recherches des savants, une encyclopédie doit-elle copier leurs livres ? Ainsi, quand un Encyclopédiste reproduit textuellement des pages entières d’un auteur, peut-il oublier qu’on a inventé les guillemets pour signaler ce genre d’emprunts ? Or, les guillemets sont aussi rares dans l’ouvrage de Diderot que les emprunts y sont abondants. On peut dire que l’Encyclopédie fourmille d’articles volés. Le meilleur ami de Diderot lui-même, Grimm, y constatait « un brigandage perpétuel ».

Aussi les ennemis de l’Encyclopédie avaient-ils à chaque instant le plaisir de lire dans le Journal de Trévoux, les protestations d’auteurs qu’on avait faits encyclopédistes malgré eux. Mais c’eût été un bien autre concert d’invec-