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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/129

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tives si les morts innombrables qu’on avait dépouillés avaient tout à coup recouvré la voix pour réclamer leurs idées ou leurs phrases semées dans l’Encyclopédie et attribuées, sans plus de façon, à leurs déprédateurs. Le premier, à coup sûr, qui eût réclamé son bien, c’est Bayle, le plus grand fournisseur de l’Encyclopédie, Bayle, que quelquefois, il est vrai, on citait expressément, mais que, le plus souvent, on copiait sans le dire, sauf à parler de lui avec un dédain calculé ou bien à le réfuter avec ostentation pour mieux dissimuler tout ce qu’on lui avait pris. Et c’était, après Bayle, Moréri, les auteurs du Journal de Trévoux, Hedrich (pour son lexique allemand des antiquités), Deslandes et Brucker pour leurs histoires de la philosophie, et enfin les simples littérateurs, et à leur tête Montaigne, dont les Essais furent, nous l’avons montré ailleurs, le livre de chevet des philosophes.

Que voulons-nous conclure de toutes ces critiques ? Qu’il n’y a rien de bon dans l’Encyclopédie ? On va voir tout à l’heure le contraire. Ce que nous avons essayé seulement d’établir, c’est que, au point de vue purement scientifique, les résultats obtenus ne répondirent pas à l’immense labeur dévoré par une si grande entreprise ; qu’en un mot, l’œuvre, dans son ensemble, se trouva être inférieure à l’idéal rêvé par Diderot, et cela, de l’aveu même de Diderot et de ses amis. L’avocat, tant prôné par le parti philosophique, Servan, disait, avec une évidente exagération, il est vrai, « qu’on pourrait traiter l’Encyclopédie comme Dieu voulait traiter Sodome ; il promit grâce à la ville entière si l’on y trouvait seulement dix justes : accordons grâce à ce grand Dictionnaire si l’on y trouve seulement une centaine de bons articles. » Aujourd’hui, si l’on voulait extraire de ce grand ouvrage ce qui a survécu aux progrès de la science et de la critique, on trouverait à peine, dans ces dix-huit volumes in-folio, de quoi remplir un petit in-douze. Qu’un ouvrage qui a coûté tant d’efforts et qui résumait, en somme, les connaissances du siècle le plus voisin de nous, soit devenu si peu utile, cela prouve, à notre honte et à