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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/130

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notre gloire à la fois, que si nous savons peu, du moins nous apprenons sans cesse, et même le profond discrédit où l’Encyclopédie est tombée est un des meilleurs arguments et des plus éloquents qu’on pourrait invoquer en faveur de la théorie si chère aux Encyclopédistes du progrès indéfini de l’esprit humain.

Quelques critiques qu’on puisse faire et que nous ayons faites nous-même de l’Encyclopédie, celle-ci n’en représente pas moins, et c’est là l’essentiel, l’esprit nouveau, nous entendons par là l’esprit scientifique, qu’elle s’efforce de faire prévaloir contre l’ancienne manière de penser, qu’on peut qualifier de théologique, c’est-à-dire d’anti-scientifique. C’est la vraie science, celle qui part du doute et pour qui rien n’est sacré, que propagent les Encyclopédistes, et non la bonne science, celle qui avait régné jusqu’alors, guidée, c’est-à-dire bridée, par une théologie ombrageuse. Un jour, au dix-huitième siècle, des savants suédois avaient observé un certain mouvement des rivages de la Baltique. Aussitôt les théologiens de Stockholm représentèrent au gouvernement que « cette remarque des savants suédois, n’étant pas conforme à la Genèse, il fallait la condamner ». On leur répondit que Dieu avait fait la Baltique aussi bien que la Genèse, et que, s’il y avait contradiction entre les deux ouvrages, l’erreur était plutôt dans les copies que nous avons de ce livre que dans la mer Baltique dont nous avons l’original[1]. Voilà l’esprit de l’Encyclopédie. Si celle-ci n’avait été rien de plus que l’indigeste fatras scientifique qu’on a dit, d’Alembert aurait eu raison de s’écrier : « Ils sont bien bons d’en avoir peur ! » Mais il y avait bien autre chose, dans l’œuvre de Diderot et de ses amis, que les erreurs que nous nous sommes amusé nous-même à relever. Il y avait ce que redoute et ce qu’a repoussé de tous temps l’orthodoxie immuable : la science indépendante, qui est la plus grande ennemie de la superstition. Qu’est-ce, en effet, que la superstition, si ce n’est, au fond, l’ignorance

  1. Gudin, Aux Mânes de Louis XV, 1777, p. 204.