Aller au contenu

Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grande barbarie (sous la féodalité, en effet, le serf lui-même, s’il dépendait de son suzerain, était, du moins, protégé par lui). La France, au contraire, que connaissaient les étrangers, celle qui se montrait à Paris, à Versailles et dans plusieurs grandes villes, était plus brillante, plus enjouée qu’aux beaux temps du règne de Louis XIV. Dans les campagnes, la taille et la gabelle écrasaient l’agriculture. À Paris, au contraire, d’immenses richesses circulaient parmi les fermiers-généraux et tous les financiers. Les courtisans, comblés des faveurs de la Cour, y répandaient l’argent d’une main prodigue sur tous ceux qui servaient leurs plaisirs. » Ainsi, d’une part, un gouvernement qui est une « anarchie dépensière » et une cour qui, par ses folles prodigalités, est le « tombeau de la nation » (c’est ainsi que d’Argenson qualifie la cour et le gouvernement), et, d’autre part, un peuple malheureux, écrasé d’impôts, lesquels sont, non seulement injustes, mais extorqués avec la dernière rigueur. C’est contre ce bon vieux temps que va protester l’Encyclopédie ; mais comment pourra-t-elle le faire ?

Si le moment, comme nous l’avons montré précédemment, était bien choisi, au milieu du dix-huitième siècle, pour exposer l’état des sciences, il l’était beaucoup moins pour critiquer les abus, et ainsi l’œuvre polémique des Encyclopédistes était infiniment plus malaisée que leur œuvre scientifique. Sans exagérer, comme on l’a trop fait, les dangers qu’on courait alors à traiter des matières interdites à l’écrivain, il est certain que le pouvoir, assez tolérant et débonnaire même par moments et comme par accès, n’en avait pas moins le droit absolu de sévir, comme il l’entendait, contre un auteur qu’il jugeait dangereux ; on sait aussi qu’il usait capricieusement et parfois très cruellement de ce droit qu’il proclamait bien haut et sous les formes les plus draconiennes. En somme, l’Encyclopédie paraissait à une époque où l’on n’était autorisé à parler librement de rien, et, par sa définition même, elle devait parler de tout : grave difficulté et dont il faut lui tenir grand compte. Il est donc naturel qu’elle ait parfois proposé ses ré-