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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/147

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formes avec une timidité, disons plutôt avec une prudence que lui prescrivaient les interdictions et les suspensions dont elle fut plus d’une fois l’objet. « Il est permis de présenter avec respect les abus[1]. » Assez souvent elle ne demande pas qu’on abolisse une coutume, ni qu’on supprime un privilège, mais simplement qu’on n’abuse pas de son privilège ou qu’on pratique la coutume de la façon la plus raisonnable, la plus utile au bien public. Par exemple, à propos des corvées, on dira seulement, et avec trop de raison, qu’elles sont « dures pour les particuliers » et qu’il faut tout au moins « les bien conduire, pour tirer des jours précieux qu’on demande aux travailleurs le plus d’utilité que l’on peut », et on écrira une dissertation toute pratique sur « la meilleure répartition des travaux[2] ».

On ne vise pas, de même, à supprimer la milice ; mais on voudrait « corriger les inconvénients qu’on rencontre dans l’exécution des lois sur le recrutement militaire », recrutement qui, par suite d’une infinité d’exemptions, retombait presque tout entier sur le paysan : « On ne voyait partout que réfractaires (des paysans) se sauvant dans les bois, et cavaliers de la maréchaussée lancés à leur poursuite[3]. »

Il y a lieu de s’étonner peut-être qu’à propos d’un des privilèges qui exaspéraient le plus le paysan sous l’ancien régime, le droit de chasse, on se contente de déclarer que celle-ci « est libre à tous les hommes suivant le droit naturel » ; et, au lieu de tirer de ce principe, élevé mais vague, de bonnes raisons pour combattre le droit odieux qu’avait le seigneur de faire passer son bruyant et ruineux équipage sur les terres ensemencées du paysan, on se

  1. Encycl., art. Question.
  2. « Un ordre de l’intendant pouvait appeler subitement les cultivateurs sur un point de la province, pour la corvée. Pendant de longs jours, quelquefois pendant plus d’un mois, ils travaillaient avec leurs chevaux pour le service de l’État ; si les hommes ne suffisaient pas, on réquisitionnait les femmes et même les enfants au-dessous de douze ans. Le cultivateur n’était libre de la corvée qu’à soixante-douze ans. » H. Carré : La France sous Louis XV. Quantin, 1891, p. 208.)
  3. Rambaud : Histoire de la Civilisation française, II, 222.