Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/170

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Ainsi les Encyclopédistes, non seulement ne sont pas des républicains, ce qui n’est pas pour nous surprendre chez des Français du dix-huitième siècle, mais ils ne sont pas même ce que nous appellerions des libéraux : ils ne savent pas encore ce que c’est que la liberté, puisqu’ils ne la veulent que pour eux seuls. En dernière analyse, elle se confond pour eux (comme pour beaucoup de Français de tous les temps), avec l’exercice de la souveraineté. Leur doctrine politique est tout aussi élémentaire que leur psychologie : de même que Diderot ne voyait, dans le monde moral, que « des bons et des méchants », ils ne voient, dans la société, que des puissants et des faibles. « La loi éternelle s’exécute toujours et veut que le faible soit la proie du fort[1]. » Il faut arriver à être puissant ou, tout au moins, ami des puissants, et on fera la loi aux faibles. « Unissez-vous », leur prêche sans cesse Voltaire ; il n’ajoute pas : et vous ferez triompher la liberté ; il ajoute : « et vous serez les maîtres. » Que le roi soit donc aussi puissant, aussi autoritaire qu’il voudra, pourvu qu’il soit, avant tout, le roi des philosophes. Mais alors qu’est-ce donc que ce despotisme contre lequel ils s’acharnent et déclament sans cesse ? un despotisme anonyme, aussi mal défini que ce despotisme oriental que Montesquieu plaçait en des pays mal connus, à Ispahan ou à Constantinople, et dont il avait puisé la vague idée dans les récits de Tavernier et de Chardin ; et Grimm avait pleinement raison de dire en 1764 que « le fantôme du despotisme n’était pas mieux connu que la chimère de la liberté[2] ». Répéter sans cesse, comme le fait Diderot dans l’Encyclopédie, que « les tyrans sont les fléaux de l’humanité », c’est se payer de mots, c’est réchauffer ses décla-

  1. Note de Grimm aux Fragm. polit., de Diderot.
  2. « Aujourd’hui, dit Voltaire, les empereurs de Turquie, de Maroc, de Perse, de l’Indoustan, de la Chine, sont appelés par nous despotes ; et nous attachons à ce titre l’idée d’un fou féroce qui n’écoute que son caprice, d’un barbare qui fait ranger devant lui ses courtisans prosternés, et qui, pour se divertir, ordonne à ses satellites d’étrangler à droite et d’empaler à gauche. » Commentaires sur l’Esprit des Lois, III.