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l’épée et la robe), lesquels n’avaient de commun entre eux qu’un souverain mépris les uns pour les autres, chacun d’eux n’ayant à cœur que les intérêts de sa caste et se souciant fort peu du bien public : la noblesse regarderait comme « une infamie de partager le pouvoir avec le peuple » ; c’est dire qu’elle ne tient qu’à ses privilèges. Le clergé, lui, défend ses immenses richesses et ne se préoccupe même pas du misérable peuple des curés. Quant au Parlement, il n’a en tête que ses prérogatives, et, s’il entretient dans le royaume le mécontentement et l’esprit d’opposition, toutes choses qui valent mieux, en un sens, que la soumission silencieuse et l’indifférence politique, pourtant c’est l’esprit de corps qui l’anime seul dans toutes ses revendications et, pas plus chez lui que chez les autres corps de l’État, on ne sent battre le cœur de la nation.

Il ne reste donc plus, même pour des philosophes réformateurs, que de s’adresser au roi, puisque lui seul alors représente et incarne la France : c’est justement ce que fait la philosophie quand elle est au pouvoir avec Turgot. Qu’on lise le rapport secret de ce ministre à Louis XVI : « La nation est une société composée de différents ordres, mal unis, et d’un peuple, dont les membres n’ont entre eux que peu de liens. Nulle part il n’y a d’intérêt commun visible. Dans cette guerre perpétuelle de prétentions et d’entreprises, Votre Majesté est obligée de tout décider par elle-même : on attend vos ordres spéciaux pour contribuer au bien public. »

Sans doute l’Angleterre offrait aux Encyclopédistes de tout autres leçons et un tout autre spectacle : le spectacle d’un pays libre qui se transformait peu à peu, non par un recours désespéré à l’autorité royale, comme chez nous, mais par le simple jeu de ses institutions ; seulement qui donc, au dix-huitième siècle, comprenait bien le jeu des institutions anglaises ? « Les ministres de mon temps, dit Montesquieu, ne connaissaient pas plus l’Angleterre qu’un enfant de six mois[1]. » Même après Montesquieu et sa célèbre théorie,

  1. Pensées diverses.