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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/174

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un peu superficielle, de la balance des pouvoirs, les philosophes, esclaves de leur éducation et de leurs préjugés classiques, ne réussirent pas à comprendre l’essence même des institutions anglaises ; aucun d’eux ne vit que c’est la liberté politique qui est vraiment l’âme de toutes les institutions, puisqu’elle est le principe et la garantie de toutes les libertés, par exemple, de cette liberté de penser et de croire qu’avait tant admirée Voltaire. Mais pour d’Holbach lui-même, le théoricien politique du parti, la liberté anglaise est licence, car « ce n’est pas être libre que de troubler impunément le repos des citoyens, d’insulter le souverain, de calomnier des ministres, de publier des libelles[1]. » Les philosophes, d’ailleurs, ignoraient même les dispositions fondamentales de la constitution anglaise ; par exemple, à Grandval, Diderot fait cent questions au père Hoop sur le parlement d’Angleterre et tout ce que lui dit l’Anglais lui paraît aussi admirable que nouveau[2].

Et enfin, s’ils connaissaient mal l’histoire d’Angleterre, on peut dire qu’en revanche ils connaissaient trop bien ou trop exclusivement l’histoire romaine et que, dans les collèges, ils avaient trop appris à l’admirer : ce n’est pas elle, en effet, qui pouvait faire d’eux des citoyens, puisque toutes les institutions à Rome subordonnaient tout à l’État, étant faites, comme on l’a dit, non pour la liberté, mais pour l’obéissance des hommes[3].

En résumé, ce n’est pas seulement leur timidité d’esprit, c’est encore et surtout la fatalité même de notre histoire et aussi notre éducation trop exclusivement tournée vers le droit romain et la littérature romaine, qui condamnaient les philosophes à être, malgré toutes leurs dissertations et

  1. Éthocratie.
  2. Diderot, XVIII, 488.
  3. Fustel de Coulanges : Hist. des Institut., I, 66. « Si je me représente l’État tel que Rome l’a organisé, tel que les légistes le conçoivent, je reconnais, dans sa charpente et ses pièces essentielles, l’édifice que, derrière leurs façades composites et leurs décors modernes, les ministres « éclairés », disciples des philosophes, élèvent ou rêvent d’élever. » (Sorel, L’Europe et la Révol. franc., I, 123.)